Afrique NOIRE,
dominations et esclavages
[ 4 ] Bura-Asinda-Sikka, IIe-XIe siècle
Ghâna : Le pays de l'or
VIIIe - XIIIe siècle
Bura-Asinda-Sikka,
IIe - XIe siècle
On retrouve vraisemblablement cette pratique dans la nécropole de Bura, à 150 km au nord de Niamey, qui fait partie d'une aire à vocation funéraire, appelée aussi Bura-Asinda-Sikka, en République du Niger, quand bien même Asinda-Sikka est loin d'être le seul site associé à Bura, comme Kareygorou, Tondikwarey, Yasaan, Gabu, Theim-Kareygusu ou Rozi (voir carte ci-contre) , ou encore Tondi-Mecirey, Dulgu-Zindia Dulgu-Kabbangu, Setawey, Jaje-Tondi ou Mendaw.
Bura a été découverte par hasard seulement en 1975, par Abdurahman Sindy, un jeune homme qui trouva deux têtes de statuettes pendant une partie de chasse et les donna aux enfants de son village (dont une fut perdue) qui en firent des jouets (Gado, 1993). C'est en en parlant à son grand frère Dulla Sindy, chauffeur à l'IRSH (Institut de Recherches en Sciences Humaines) de l’Université de Niamey, trois ans plus tard, que ce dernier apporta la statuette restante à l'Institut. Le site sera fouillé à partir de 1983 par le chef du département d'art et d'archéologie de l'IRSH, l'historien Boube Gado (1944-2015). Les sites ont révélé notamment des urnes ou jarres funéraires anthropomorphes en terre cuite réalisées entre le IIe au XIe siècle, selon la datation traditionnelle au carbone 14. A l'origine posées sur le sol à l'envers, elles étaient surmontées d'une tête humaine, avec, pour la plupart, des scarifications faites au front, aux tempes ou aux joues (Gado, 1993). Ces urnes contenaient des os, des crânes, des offrandes de nourriture cuite pour les morts, ou encore des vêtements. Au-dessous des corps, à 1.50 m plus profondément, d'autres squelettes ont été trouvés sous certaines urnes, une pointe de flèche fichée dans le crâne, individus d'évidence sacrifiés pour accompagner un personnage important dans sa tombe ; ce peut être, comme dans d'autres cultures, des personnes sacrifiées pour garder les morts d'un rang social élevé dans l'au-delà : esclaves, serviteurs, parents, etc. (Gado, 1993 ; Gilbert, 2020).
Bien identifiées par sexe, non par les organes sexuels le plus généralement, mais plutôt par la coiffure, les urnes anthropomorphiques et zoomorphiques le sont aussi par groupes ou sous-groupes ethniques; au travers de la scarification, mais aussi par rangs sociaux, dont les plus importants semblent être des personnages athlétiques, guerriers ou chasseurs, dotés d'armures, de carquois ou de couteaux. On voit encore ici que nous avons affaire à une société très hiérarchisée, qui a largement tiré profit des découvertes faites dans l'Aïr dès la fin du IIIe millénaire avant notre ère, utilisant le fer mais aussi le cuivre et le laiton. Cette relation avec le nord de l'Afrique est confirmée par les différents artefacts retrouvés, comme les représentations de chevaux, les objets en cuivre, ou encore les perles de verre (Magnavita, 2013). Le plus étonnant c'est que ces sociétés étaient entourés de populations vivant encore à l'âge de la pierre taillée et polie, et l'historien Boube Gado s'est demandé si là n'était pas l'objet du mythe songhay relatant la lutte des génies zin du fleuve luttant contre les zin des morts pour assurer le contrôle du Niger, tous deux combattus par les génies ancestraux des Songhay, les tooru, symbolisant la lutte des différentes sociétés en présence, du IIe au VIe siècle, pour la prééminence dans la région (Gado, 1993).
Découverte tardivement, la culture de Bura est encore très mal connue, mais elle est déjà célèbre par sa profusion artistique qui a attisé localement et internationalement l'appât du gain, provoquant un pillage intense, des trafics douteux, inondant le marché de l'art et de la contrebande, attisant l'appétit de certains collectionneurs : rien de nouveau puisque de nombreuses histoires de ce type émaillent l'histoire de l'art africain (mais aussi de bien d'autres régions du monde riches en antiquité) depuis la colonisation européenne du continent. Ainsi, depuis 1994, "90 % des sites de Bura, au Niger, ont été dégradés par des fouilles clandestines" ("Enquête sur le pillage des objets d'art", article du Monde Diplomatique, janvier 2005, p. 19).
Il va sans dire que les objets concernés, comme bon nombre d'autres qu'on retrouve dans les musées dédiées à l'art africain traditionnel, n'étaient pas considérés seulement comme des objets esthétiques, mais faisaient avant tout partie d'un système religieux, idéologique, propre à chacune des cultures qui les ont produits. Concernant les objets de la culture Bura-Asinda-Sikka, nombre d'entre eux concernent les symboles de puissance masculine (le phallus), celle de l'aristocratie guerrière aussi avec ses chevaux et ses armes, avec ses rangs, sa hiérarchie, associée au domaine de la mort, de la vie après la mort, où les élites continuent d'être honorées et servies, et les plus humbles de subir leur asservissement :
Urnes, jarres funéraires
terre cuite, forme phallique et anthropomorphe
vers IIIe - XIe siècle
collection privée
terre cuite, forme phallique
h. 70 x l. 25 cm
vers IIIe - XIe siècle
collection privée
terre cuite,
h. 41.3 x l. 18.4 cm
vers VIIIe - Xe siècle
collection privée
Paire de têtes
terre cuite,
G : h. 17.3 x l. 7.4 x p .4.5 cm
D : h. 20.2 x l. 9.3 x p. 5 cm
vers IIIe - XIe siècle
Metropolitan Museum of Art (MMA), New-York
Statuette équestre
cavalier et cheval
terre cuite,
h. 62 x l. 52 x p.20 cm
vers IIIe - XIe siècle
collection privée
Statuette équestre
torse de cavalier
terre cuite,
h. 30.5 x l. 15 x p. 18 cm
vers IIIe - XIe siècle
Metropolitan Museum of Art (MMA), New-York
Ghâna, le pays de l'or
“ Tenkamenîn est maître d’un vaste empire et d’une puissance qui le rend formidable ”
Al-Bakri, Le Livre des Routes et des Royaumes", الكتاب المسالك والممالك : al-Kitab al-Masalik w’al- Mamalik (appelé aussi le "Routier" par les historiens) à propos du roi du Ghana, en 1067, successeur de son oncle maternel, Beci.
Carte du Ghana / Wagadou, avec régions occupées lors de sa plus grande extension, d'Awkar (Awker, Aoukar, Aouker), de Baxunu (Baghena), de Diara*, de Gajaaga (Galam, royaume) de Gidimaxa (Guidimakha), de Hodh, de Mema, de Neema (Nema), de Kaniaga, de Sosso, de Tagant, de Termessa (Termes, Tourmiss), de Wangara, de Zafunu (Jafunu) et du Tekrour et Bambuk (Bambouk) voisins.
* Diara : Diarra, Dyara, Jaara, Diawara, Jawara, Jawaara : région occupée par un royaume appelé aussi Kingi (Kigi, Kingui) et qui sera plus tard absorbé par l'empire du Mali, puis du Songhaï.
La première mention connue de l'empire du Ghana date du VIIIe siècle, sous la plume de l'astronome arabe Abou Abdallah Muhammad ibn Ibrahim al-Fazari († vers 800), nous a été transmise par des passages cités de son œuvre dans les Prairies d'Or, d'Al-Masudi (cf. Afrique Noire...I). Al-Fazari y fait mention du "Ghâna, pays de l'or" (bilād al-tibr). Si on ne peut pas prendre au pied de la lettre la métaphore du géographe persan Ibn al-Faqih al-Hamadânî (...Fakih al Hummadjuni) affirmant que l'or y "poussait dans le sable comme les carottes" (Al-Faqih, Mukhtasar Kitab al-Buldan, "Abrégé du Livre des Pays", VI, 87, vers 903), il est certain que la région abondait en métal précieux, extrait en particulier des zones aurifères du Bambouk et du Tekrour, mais aussi en cuivre, et contribuait largement à la richesse des souverains, ce que le géographe Mohammed Abul-Kassem ibn Hawqal, toujours au Xe siècle, confirmera en affirmant que le roi du Ghana "est le souverain le plus riche de la terre en raison des mines d’or qu’il contrôle dans son pays" (Agabi, 1998).
Aux témoignages des littérateurs de culture arabe s'ajoutent de nombreux récits de traditions orales teintées de légendes, non seulement des Soninkés ("Les hommes du marché"), appelés Sarakollés (Sarakolés, Sarakholés) par les Wolofs, mais aussi des Malinkés, Bambaras ou Peuls, qui permettent de jeter la lumière sur ce qui a été un des plus anciens empires connus du Soudan, étant entendu qu'il ne s'agit pas ici du pays qui porte le même nom, mais de la région géographique soudanaise, charnière entre Sahel, au nord, et forêts équatoriales, au sud, et qui court du sud du Sénégal jusqu'à l'ouest de l'Etat du Soudan lui-même, arrosée par les bassins du Sénégal, du Niger et du Tchad. Son nom vient de l'arabe, bilād al-sūdān, qui signifie "pays des Noirs"
Ces récits ont été scrupuleusement recueillies par l'ethnologue Germaine Dieterlen (qui travailla aux côtés de Marcel Griaule ou Jean Rouch à faire connaître, en particulier, les cultures Dogon et Bambara) et le traditionaliste malien Diarra Sylla, dont les ancêtres, installés à Yéréré après la ruine de l'empire, se sont faits les généalogistes de la tradition de Yéréré, racontée par les maîtres du verbe que sont les gessere (griots). Appelé Ghana par les chroniqueurs arabes, du nom qu'ils donnaient à leurs souverains ("manna" en soninké : "assis sur la peau", sous-entendu "du trône"), le pays ne se confond pas avec l'Etat moderne du Ghana (voir carte en exergue) et fera l'objet de beaucoup de chroniques d'auteurs musulmans (Dieterlen et Sylla, 1992). "Au moment des indépendances africaines, l’Etat du Ghana servit de référence aux dirigeants de l’Afrique occidentale soucieux de retrouver les racines du pouvoir africain. C’est ainsi que Kwamé N’Kruma, devenu maître de la Gold Coast en 1957, décida de nommer son pays Ghana, bien qu’il n’y ait aucune relation ethnique ou géographique entre ce jeune Etat et l’empire médiéval" (Agabi, 1998). Cependant, il pourrait y avoir un lien entre l'ancien Ghana, dont une tradition historique raconte qu'il fut conquis par les Almoravides d'Abou Bakr, en 1077, qui détruisirent Kumbi Saleh (voir plus loin), la capitale, et le nouvel Etat, sur le territoire duquel les ancêtres des Akans (supposé être une forme de "Ghana"), se seraient réfugiés à partir du Ghana ancien inféodé encore une fois par les Berbères.
Il aura fallu en effet 44 souverains berbères (Agabi, 1998), avant qu'un premier souverain noir ne parvienne à repousser ceux-ci jusqu'à Tagant (voir carte) et fonde un empire vers la fin du VIIIe siècle . Chasseur et guerrier, Dinga Cissé, devient le premier roi (tunka) des Soninkés, et sera surnommé Kaya Maghan (Kaya Magan, Maître de l'or). Une tradition le fait naître à Assouan (Sonna, en soninké) d'une famille originaire d'une région appelée Hindi ou Findi, qui a été rapproché de l'Inde. Une autre tradition rapportée par Charles Monteil (1871-1949), ethnologue amateur de l'administration coloniale, lui prête une ascendance juive ou iranienne, selon les versions. En fait, ces récits "n'ont aucune prétention historique", et ont plutôt "une portée "religieuse et sociale" (François de Medeiros, "Chapitre 5, Les peuples du Soudan : mouvements de populations", Histoire Générale de l'Afrique, tome III. L'Afrique du VIIe au XIe siècle, dirigé par Mohammed El Fasi et Ivan Hrbek, Editions Unesco, 1990).
Dinga arrive au Sahel, dans le sud mauritanien, à la tête de guerriers à cheval, accompagnés de nombreux esclaves (komo, sing. kome, en soninké ; dion, en bambara). Ce qui ne l'empêcha pas de réduire en esclavage et assimiler des groupes de populations mandingues qui y vivaient, les Kagoro (Xusa), dont sont issus les Kamara (Camara), Folona, Sumare et autres Jariso. On ne sera pas étonné qu'il en aille autrement de l'élite mandingue, dont une partie, probablement choisie parmi les plus influents, fut invitée à s'associer, à faire alliance avec les vainqueurs, tout particulièrement les Karo et les Kousa, de langue malinké, l'aristocratie guerrière des Kagoro (Kakolo), qui habitaient le Kaarta et le Kaniaga (cf. carte) et des Koussata/ Kousata (Fride, 2021).
Le fils cadet de Dinga, Diabé Cissé, descendra plus au sud, réunira autour de lui divers clans soninkés, par serments, et fera de Kumbi (Koumbi) sa capitale (appelée Ghana par le Tarik-al-Sudan), cité fondée vers le VIe siècle (Boxus, 2006), dans le pays de Baghena (Baxunu) renommée Kumbi-Saleh par les auteurs arabes, d'après un saint d'origine arabe, saint Saleh (Kane, 2004). La ville se situe dans une région appelée Wagadou (de waga "troupeaux", et dou "pays", ou ville en mandé, comme Ouagadougou : "ville des troupeaux"), qui donnera son nom à l'Etat constitué par les premiers rois soninkés.
Comme dans d'autres cultures du monde, les dominants mettent en avant un certain nombre de traits liant les souverains au sacré pour asseoir leur prééminence et leur autorité : initiation, acquisition de pouvoirs sacrés des fondateurs, Dinga, puis son fils cadet Diabé, sans parler de leur connaissance de causes primordiales, comme le serpent Bida (ou Biida : "python" en soninké, Wagadu Biida), dont le meurtre permettra d'expliquer les terribles sécheresses que subira le pays et qui désagrègeront les communautés, ou encore le sacrifice nécessaire, chaque année, d'une jeune vierge offerte à Bida pour assurer l'abondance de l'or. Deux ingrédients idéologiques récurrents apparaissent ici, commun à nombre de civilisations : le sacrifice, non seulement d'une jeune fille, mais d'une femme dans un état associé à la pureté, une vierge, ce qui fait partie de l'immense appareillage social de domination des femmes, mais aussi, le droit d'aînesse, en l'occurrence, la relation de domination, mais aussi de dépendance de l'aîné vis-à-vis du cadet, qui est une des briques sociales les plus importantes de beaucoup de sociétés africaines :
“ Lorsqu'après quatre siècles et demi de cet arrangement Sia Niakaté fut désignée par les vieillards de Kumbi pour être offerte en sacrifice à Bida, Fata Maga Niakaté son cousin et fiancé ne se résigna pas. Deux fois déjà, les anciens avaient désigné ses précédentes fiancées pour être immolées, deux fois il avait accepté leur décision. Il alla trouver son frère aîné Mana Maga qui commandait Kumbi pour lui demander d'intervenir auprès des anciens mais Mana Maga, tout en compatissant aux douleurs de son cadet, s'y refusa. Le soir du sacrifice, Sia, résignée à son sort, parée et parfumée, fut escortée par les tambours de noce jusqu'au puits où vivait Bida. Elle était vêtue du voile blanc des épousées, mais sous ce voile, Fata Maga s'était glissé, armé d'un sabre affûté comme un rasoir. La jeune fille fut menée auprès de la demeure de Bida, puis son escorte se retira à bonne distance pour observer accomplissement du sacrifice.
La nuit tombée, dans un éclat de lumière éblouissant, Bida sortit la tête une première fois pour examiner celle qu'on lui offrait. Les tambours battirent, les femmes poussèrent des youyous stridents. Mais certains s'interrogèrent : n'avait-on pas aperçu deux jeunes filles au lieu d'une sur le bord du puits ? Vers minuit, Bida surgit nouveau ; les témoins crurent alors bien voir deux formes côte à côte. Enfin, quand Bida émergea pour la troisième et dernière fois, tandis qu'on battait des tambours et poussait des cris, la tête du python tranchée d'un coup de sabre s'en alla rouler au loin comme une gerbe de feu. La foule comprit que seul Fata Maga était capable d'un tel crime et se précipita chez lui. Il s'était enfui. Les hommes s'élancèrent à sa poursuite et, parmi eux, Mana Maga qui était le seul posséder un cheval plus rapide que celui de son frère. Mais, l'ayant rejoint, au lieu de le capturer, il l'encouragea fuir et lui donna la direction suivre. Il regagna ensuite la troupe des poursuivants, mais ceux-ci, se méfiant de son manège, qu'il avait répété par deux fois, voulurent l'abattre. Mais Mana Maga rattrapa alors son cadet et ils enfuirent ensemble vers l'Ouest, chevauchant pendant deux jours. Au bout de ce temps, Fata Maga, n'ayant rien mangé, s'arrêta épuisé sous un arbre, un drame*, disant il allait mourir. Son frère partit la recherche de gibier mais sa quête fut vaine Ne voulant pas rentrer sans quelque aliment pour Fata Maga il se tailla un morceau du mollet pansa la plaie avec amadou de son briquet et une bande de sa robe fit cuire la viande et la donna manger son frère qui ignorant son origine trouva le morceau trop petit son goût*.
Quand Fata Maga se fut restauré, ils reprirent leur route vers l'Ouest. Alors qu'ils étaient arrêtés près une mare, la plaie de Mana Maga l'empêcha de se relever. Celui-ci décida de s'installer en ce lieu où le gibier venait s'abreuver et où il était facile de chasser Son cadet vit alors la blessure et comprit d'où lui était venue la nourriture qui l'avait sauvé. Éperdu de reconnaissance, il décida de chanter à jamais les louanges de son aîné et de prendre le dyamu (patronyme) de Drame**, de l'arbre témoin du sacrifice de son frère. Ils donnèrent au lieu où ils installèrent le nom de Diara (« guérir » en sarakolé) qui devint la capitale d'un royaume qui s'étendit du Kîgi [Kingui, NDR] au Kaarta et sur lequel les Niakaté régnèrent encore pendant quatre siècles et demi.”
* goût : "Cet épisode est un thème très fréquent et répété dans la plupart des légendes retraçant l'origine des castes de griots ou celle un senâkuya (alliance cathartique)."
** drame : "Le drame "(sarakole) produit des fruits dont l'aspect et la saveur rappellent ceux des raisins ; en bambara, begu (Laennea acida)"
(Meillassoux, 1963)
Koumbi Saleh,
vestiges de la Mosquée
et son mirhab, XIIe s.
Koumbi Saleh,
vestiges des XIe-XIIe siècles
Mais, comme dans les autres cultures, il existe aussi un certain nombre de pratiques qui resserrent le tissu social et recherchent sa cohésion, comme la singulière "parenté à plaisanterie" (sanankuya), que Dinga établit par pacte (jongu) avec les Peuls (Pulaar, Pulars, Fulbes/Foulbés, Fulani/Foulani, de "fulla" : "errants", "fullade" : "éparpiller"). Dinga instaure ce pacte avec un acte fort, puisqu'il se marie avec une femme peul nommée Bori, avant d'interdire les mariages entre Peuls et Soninkés, établissant ainsi une sorte de "cousinage à plaisanterie" fait de joutes verbales à base de moqueries et de plaisanteries réciproques sur chacune des parties, moyen de parvenir le plus pacifiquement possible à une société multiculturelle (Fride, 2021 ; Salifou, 2014). Par ailleurs, l'examen de nombreux mythes de fondation sociale, en Afrique noire, lie des pouvoirs de nature différente. Ils sont fondés sur une hiérarchisation et une interdépendance (Alliot, 1981), certes, mais à l'intérieur de ce cadre contraint, la différence est non seulement tolérée mais encouragée et institutionnalisée. Il en découle des États pluri-ethniques, pluri-lingues et de grande tolérance religieuse (Ba, 2017), tout à fait à l'opposé ou très différemment de la manière dont se sont formés les État dans d'autres parties du monde, comme en Europe, en Chine ou ailleurs, si ce n'est, et ce n'est pas un point de détail, qu'ils se sont tous beaucoup plus construits et déconstruits dans l'opposition, l'affrontement, la domination par la guerre ou la division et la ségrégation sociale, que par la coopération.
Les Soninkés forment une des sociétés des plus hiérarchisées d'Afrique de l'Ouest, pratiquant comme beaucoup d'autres un esclavage très ancien : "En effet, j'estime que le système des castes, dans lequel est inséré celui de l'esclavage intérieur soninké, est antérieur au contact de l'Afrique de l'Ouest avec le monde arabo-musulman entre le VIIe et le XIe siècles (esclavage pratiqué par des Africains sur d'autres Africains). La traite transsaharienne au Moyen Âge, de même que l'esclavage transatlantique de l'époque moderne, loin d'avoir affaibli cet esclavage interne, l'ont transformé en l'amplifiant à l'échelle internationale" (Sy, 2000). Les traditions du Yéréré font de Diabé un maga (maître, chef, littéralement maître [ma] du ciel [ka, ga]), comme tous ceux qui lui succèderont. Avec ses fils, Diabé compte parmi les premiers wage/wago, "nobles", qui possèderont des vagadu, "pays des wage" (Dieterlen et Sylla, op. cité). : un schéma classique et universel de domination par des souverains grands propriétaires de domaines fonciers. Les termes ne manquent pas pour ceux qui occupent des positions de domination et de commandement : le roi du Wagadou est dit Kaya Maghan (ou Magan, "chef de guerre courageux"), tunka, "premier chef" ou "premier roi" ou simplement timka, "chef " (Sy, 2000). Ce sont eux, conseillers royaux, officiers de l'armée, gouverneurs de province ou encore chefs de police (Dieterlen et Sylla, 1992), qui profitent de cette main d'œuvre corvéable à merci, affectée en particulier aux travaux agricoles, à tous les travaux publics ou au travail dans les mines d'or (mais aussi de cuivre ou de fer), où ils creusaient les puits, lavaient le sable dans les cours d'eau : On aura compris qu'ils exerçaient les travaux les plus pénibles. Par ailleurs, le géographe Abū Ubayd al-Bakrī, (El-Bekri, 1040-1094) nous apprend vers 1068, que "les souverains levaient un impôt de dix mithkals sur chaque esclave exporté du pays. Du VIIIe au XIIe siècles au moins, ce sont donc des milliers de mithkals que les esclaves ont fait rentrer dans le trésor royal. L’argent tiré de cette activité, directement ou à travers des impôts et taxes levés, contribuaient à enrichir le Ghana. C’est ainsi que G. Dieterlen et Cl. Meillassoux affirme que la pratique de l’esclavage a toujours été un moyen de développement au Ghana" (Sangare, 2013). C'est encore le témoignage d'Al-Bakri qui nous autorise à penser que le Wagadou continuait à pratiquer la coutume des morts d'accompagnement :
"A la mort du roi, ils construisent, avec du bois de saj un un grand dôme, qu’ils établissent sur le lieu qui doit servir de tombeau; ensuite ils placent le corps sur un canapé garni de quelques tapis et coussins, et le placent dans l’intérieur du dôme; ils posent auprès du mort ses parures, ses armes, les plats et les tasses dans lesquels il avait mangé ou bu, et diverses espèces de mets et de boissons. Alors ils enferment avec le corps de leur souverain plusieurs de ses cuisiniers et fabricants de boissons ; on recouvre l’édifice avec des nattes et des toiles; toute la multitude assemblée s’empresse de jeter de la terre sur ce tombeau et d’y former ainsi une grande colline" (Al-Bakri, "Le Livre des Routes...", op. cité).
Le grand poète sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001), premier président de son pays, composera un poème sur Kaya-Magan qui rappelle nombre d'œuvres de la littérature mondiale à la gloire des puissants depuis la très haute antiquité, entièrement pétrie d'une idéologie aristocratique où la vie du prince n'est que geste inaugurale et magnifique, où il est l'origine du peuple, le dispensateur de sa vie et de sa prospérité générale : "KAYA-MAGAN je suis ! la personne première...Que l’on chauffe douze mille écuelles cerclées du serpent de la mer pour mes sujets...Mangez et dormez enfants de ma sève..." (L. S. Senghor, "Kaya-Magan", Éthiopiques, Editions Le Seuil, 1956).
1068 : "Le Livre des Routes...", op. cité
mithkal : (mitgal, mithqal), unité de poids équivalant à la sextula latine (1/6e d'once) et au dinar d'or, utilisée depuis le VIIIe siècle, soit environ 4,6 grammes d'or.
Le royaume de Wagadou ne se fonde pas à partir de rien, loin de là. Les bases d'un état centralisé a été posé depuis fort longtemps dans la région, entre - 200 et + 200 environ, en relation avec d'autres pôles de pouvoir, dont le premier, très urbanisé a été le complexe Tichit-Walata (Oualata, voir carte du royaume du Ghana), dont on connaît des centaines de lieux de peuplement, fortifiés ou non, au cours de la deuxième moitié du millénaire avant notre ère, mais aussi les centres de Hodh et d'Awkar (Aoukar), nom du pays, selon Al-Bakri, (op. cité) région où résidait alors la cour royale, avec Koumbi Saleh au sud, ou encore, aux frontières de l'est, le pôle économique de Mema, fort de centaines de sites et pourvoyeur essentiel de fer, mais aussi celui de Wangara, pourvoyeuse d'or, selon Al-Idrissi (cf. Livre du divertissement...), où les marchands exerçaient une sorte de monopole sur le commerce du précieux métal (Kéa, 2004). Au Ve et VIe siècle, le Ghana commence par dominer l'économie de la région, en raison de la disparition progressive du royaume des Garamantes et, à la fin du Xe siècle, prend le contrôle du commerce centralisé par Tegdaoust/Awdaghast, capitale des Sanhadja. Aux XIIe et XIIIe siècle, en pleine expansion du commerce, sont fondées les villes de Chinguetti, Ouadane (Wadan), cités berbères, mais aussi Oualata (Walata) et Tichitt (Tichit), dans l'orbite ghanéenne, qui, avec d'autres, nous ont laissé des vestiges de leurs ksours, servant de centres commerciaux au commerce transsaharien :
Le développement de l'agriculture, de l'artisanat, (en particulier le travail du cuir) du commerce de l'or mais aussi du sel (salines de Awlil, Teghaza et Ijil : Boxus, 2006) a généré de plus en plus d'excédents gérés par des pouvoirs de plus en plus riches qui centralisent de plus en plus le contrôle des biens et des personnes, notamment par le tribut, par l'impôt ou même le butin de guerre, ce qui a bouleversé l'organisation économique : Les spécialisations se sont accrues, les sociétés se sont davantage hiérarchisées, la distinction espace privé et espace public s'est renforcée (Kea, 2004) : autant de signes d'une société de plus en plus marquée par les différences sociales, depuis les esclaves qui ne possèdent rien jusqu'aux riches marchands, notables et surtout, princes et souverains.
L'emplacement même de Koumbi Saleh a été contestée par certains spécialistes, ayant un certain nombre d'arguments pour l'identifier à Djenné-Jeno (Jenne-Jenno, Diané, à 3 km de l'actuelle Djenné, au Mali), érigée sur les bases de l'ancienne cité de Dia, fondée au début du 1er millénaire avant notre ère, tandis qu'Awdāghust (Aoudaghost, Awdagast, Tagdawst) que l'on identifie généralement à Tegdaoust, et qui sera la capitale d'un royaume berbère, pourrait être rapprochée de l'ancienne Sanghana /Sunghâna (Kritzinger, 2010). Par ailleurs, comme cela s'est passé avec les premiers royaumes d'Afrique australe, un certain nombre d'auteurs ont commencé par attribuer les progrès et les innovations des civilisations soudanaises à des populations caucasiennes de souche hamitique, parentes de celles qui sont à l'origine des cultures égyptienne et mésopotamienne, reléguant les populations noires à la marge de la civilisation. Parmi eux, l'historien Yves Urvoy ira jusqu'à être convaincu qu'en Afrique "les Blancs ont apporté la graine d’un type supérieur d’organisation" (Urvoy, 1949 : 21-22, cf. note ci-dessous). Depuis, la recherche historique a complètement balayé ce type de travers idéologique. Un autre handicap à la connaissance des premières cultures autochtones de la région, sont les premières sources historiques sur le sujet, toutes d'origine islamique (puisqu'elles étaient les seules à y employer l'écriture), leurs auteurs n'échappant pas toujours aux contraintes idéologiques :
"certains doivent tenir compte des intérêts et des visées expansionnistes des maîtres pour lesquels ils ont mission de recueillir des informations ; ainsi en est-il d’ Ibn Ḥawḳal, qui travaille pour les Fatimides. Al-Bakrī est sans conteste l’auteur dont la contribution s’est révélée la plus importante, mais il ne connaît pas les pays qu’il décrit depuis l’Espagne, et les données de sa relation reposent pour l’essentiel sur la compilation des auteurs précédents, grâce aux archives officielles du califat de Cordoue, et sur les récits des voyageurs qu’il a interrogés. Selon toute probabilité, aucun de ces écrivains n’a visité le Soudan avant Ibn Baṭṭūṭa (VIIIe/XIVe siècle)." (F. de Medeiros, op. cité)
auteurs : Maurice Delafosse (1870-1926), "Haut Sénégal-Niger," 1912 ; Herbert Richmond Palmer "The Bornu Sahara and Sudan", London, John Murray, 1936 ; Capitaine Yves Urvoy "Histoire des populations du Soudan Central (Colonie du Niger)" Larose - Paris - 1936 ; "Histoire de l'Empire du Bornou"" Larose, Paris1949.
D'autre part, les colonisateurs arabes et leurs partisans convertis ont exercé très tôt sur l'ensemble de l'Afrique du Nord et du Soudan une domination technique, militaire ou religieuse prépondérante, ayant converti de nombreuses populations animistes à l'islam. Dans de telles conditions, il n'est aucunement étonnant que l'histoire pré-islamique du Soudan, ou encore celle des régions qui n'ont pas été soumises à l'autorité des conquérants islamiques, soit demeurée longtemps sous le boisseau. A tel point où ce sont les sociétés soudanaises elles-mêmes qui, au travers de traditions orales, ont fini par attribuer leur fondation à des ancêtres blancs. En réalité, elles sont nées à une époque où les populations berbères du Nord devenaient prédominantes, cela a été dit, en devenant en particulier des vecteurs efficients de l'expansion islamique dans les pays soudanais. Ainsi, des traditions orales à Tombouctou, par exemple, colportaient que la première dynastie régnant à Ghana était blanche, contredisant l'ensemble des témoignages des littérateurs arabes des trois premiers siècles de l'hégire qui ne font aucunement mention d'une telle chose, qu'il s'agisse du Ghana, mais aussi du Tekrour (Tekrur, Takrūr, Takrour) ou encore du Songhaï / Songhay (F. de Medeiros, op. cité), royaumes que nous étudierons plus loin. Nous avons là, une fois encore, cette sorte de complexe du dominé, subjugué par la puissance, l'éclat de la culture dominatrice, qui déprécie sa propre culture et en invente une autre, qu'il admire, à laquelle il va vouloir se rattacher généalogiquement et spirituellement.
La chose est d'autant plus regrettable que, selon certains historiens, la présence des populations noires remontaient dès le néolithique bien plus au nord du Sahara, dans le Tāgant, l’Awkār, le Hōdh (Ḥawḍ), le Tīris ou encore l’Adrār. Tout comme il est fort probable que "les bases d'un Etat organisé comme celui du Ghana décrit par les sources arabes remontent à l’époque du Ier millénaire avant l’ère chrétienne" (F. de Medeiros, op. cité). D'autre part, on insiste plus sur les conflits entre Berbères nomades et pasteurs noirs sédentaires, occultant ainsi les dynamiques culturelles et sociales qui ont dû animer sur de longues périodes l'ensemble de la région : "On a souvent trop insisté sur la dichotomie entre les Berbères nomades et la population noire sédentaire. Si la réalité des conflits entre ces deux groupes ne doit pas être niée, il ne faut pas oublier qu’en même temps les nécessités d’ordre économique et politique ont conduit les Blancs et les Noirs à une symbiose et une coopération réelle. C’est pourquoi il n’est plus permis d’interpréter seulement les relations des ethnies sahéliennes, blanches et noires, en termes d’affrontements raciaux et religieux" (op. cité). Témoin de cette construction sociale en partie commune, la ville de Kumbi Saleh, comme d'autres, était formée de deux cités distinctes que décrit Al-Bakri ("Le Livre des Routes...", op. cité), l'une réservée aux Musulmans, avec douze mosquées, où exerçaient imams, juristes, savants, et l'autre, où résidait le roi (dont les ministres étaient majoritairement musulmans), et qui abritait aussi une mosquée pour les visiteurs musulmans.
Comme un peu partout dans le monde, les princes des grands empires soudanais fondent une grande partie de leur autorité sur une aristocratie guerrière, dotée d'une puissante cavalerie et de nombreux archers (sans doute cavaliers eux aussi). Même si le nombre de 200.000 hommes et de 40.000 archers donnés par Al-Bakri est sans doute surestimé, l'archéologie va dans le sens d'une grande densité de population et d'une grande capacité du riche Etat ghanéen à fournir l'alimentation des chevaux et hommes, ainsi que les matériaux pour l'équipement des cavaliers et de leur monture : fer, laiton, cuir, etc., pour les rênes, les selles, les étriers, etc. Mais le Ghâna/Wagadu, entre le VIIIe et le XIIe siècle, s'il soumet à son autorité à la fin du Xe siècle, comme cela a été évoqué, la confédération de nomades berbères Sanhadja/Anbiya (Iznagen, Zenaga), doit compter sur l'opposition des puissances montantes du Takrour, dans l'actuel Sénégal, et de Kawkaw/Gao, au Mali, en particulier, traversées et aiguillonnées par de nouvelles idéologies religieuses issues de l'islam : kharijite avant tout, mais aussi malékite, sunnite, chiite ou encore mahdiste.
On a souvent dit que le royaume du Sosso (Soso) aurait détruit celui du Ghana au XIIIe siècle ainsi que d'autres petits royaumes, Delafosse datant la conquête de 1203 ("Haut-Sénégal-Niger", tome II, p. 165-166, Paris, 1912). Puis, il aurait été intégré par la force à l'Empire du Mali en expansion. En fait, les historiens pensent plutôt aujourd'hui que cet élargissement se serait effectué au Wagadu de manière pacifique et diplomatique, par le contrôle des réseaux commerciaux, en particulier, contrairement au caractère militaire de conquête qu'on lui a longtemps prêté, et, "par ce truchement, la diffusion de systèmes à « castes », distinguant différents groupes endogames selon les spécialisations économiques des acteurs sociaux (Tamari 1997), aurait eu un impact sur des sphères de production aussi diverses que le travail de la poterie, de la sculpture sur bois ou du cuir (Frank 1998 ; Gosselain 2000 ; Pinault-Paradis 2001 ; Sall 2001)" (Van Doosselaere, 2005). Il faut bien sûr ajouter à cela la déstabilisation causée par l'expansion des Almoravides, bousculant dans leur sphère d'influence les valeurs animistes. Mais si a longtemps cru que le Ghana avait été conquis par les Almoravides vers 1076, cette version a été sérieusement remise en doute par différents travaux de chercheurs anglo-saxons, spécialement ceux de David Courtney Conrad et Humphrey John Fisher (1982), Lamin Ousman Sanneh (1942-2019), professeur à l'université de Yale, d'origine gambienne, ou encore Mervyn Hiskette (1982). Ils ont "sérieusement mis en doute cette hypothèse et on a de plus en plus tendance à estimer que cette conquête n’a jamais eu lieu et que les deux puissances ont toujours entretenu des relations amicales. Une source autorisée a pu écrire il y a peu de temps : « Il semble plus vraisemblable que les Soninke du Ghana aient été en bons termes avec les Almoravides du désert, qu’ils soient devenus leurs alliés plutôt que leurs ennemis et que ce soit par des moyens pacifiques que ces derniers les persuadèrent d’adopter l’islam sunnite comme religion de l’empire du Ghana. » Selon diverses sources arabes, notamment al-Bakrī, la capitale comptait, pendant la période pré-almoravide, une importante communauté musulmane comprenant non seulement des marchands, mais aussi des courtisans et des ministres. Les dirigeants du Ghana étaient donc depuis longtemps déjà exposés à l’influence islamique ; il est également probable que l’islam apparut d’abord au Ghana sous la forme kharidjite. Il se peut donc que la « conversion » de la population du Ghana à l’islam par les Lamtūna en 469/1075 (pendant la conquête almoravide évoquée par al-Zuhrī) ait simplement consisté à imposer l’islam malikite orthodoxe à une communauté ibadite, comme cela avait déjà été le cas pour les habitants d’Awdāghust. Le plus grand succès de l’intervention almoravide fut sans aucun doute d’avoir obtenu la conversion du souverain et de sa cour" ("Chapitre 13, Les Almoravides", Ivan Hrbek et Jean Devisse, Histoire Générale de l'Afrique, tome III, op. cité).
On ne peut donc que s'interroger sur cette pseudo-conquête almoravide que l'historien Ibn Khaldun tient pour vraie, non seulement sans l'ombre d'un doute, mais en donnant des détails sur cette terrible invasion :
"Le Royaume du Ghana était tombé dans le dernier affaiblissement vers l'époque où l'empire des porteurs du litham [les Almoravides] commençait à devenir puissant ; aussi, ce dernier peuple qui habitait immédiatement au nord du Ghana; du côté du pays des Berbères, étendit sa domination sur les Noirs, dévasta leur territoire, et pilla leurs propriétés. Les ayant soumis à la capitation, il leur imposa un tribut et porta un grand nombre d'entre eux à embrasser l'islamisme. L'autorité des souverains de Ghana s'étant anéantie, leurs voisins, les Sousou [Sosso, NDR] subjuguèrent ce pays et réduisirent les habitants en esclavage" (I. Khaldoun, "Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale", tome deuxième, traduction M. Le Baron de Slane, Alger, 1854).
La tradition orale, quant à elle, a préféré expliquer la destruction de l'empire ghanéen par la mort du serpent sacré qui pourvoyait à la prospérité des habitants (Chavane, 1985).
Cet exemple qui nous montre encore une fois les multiples écueils auxquels les historiens de l'Afrique se heurte quand ils cherchent à puiser non seulement dans la tradition orale, mais dans les textes historiques eux-mêmes, des matériaux susceptibles de les aider à comprendre les évènements passés.
Evoquons pour finir, et en quelques mots, l'émigration des Koussas au Nord, vers le Macina, dirigés par Faré Biramou Tounkaré, qui fondent la ville de Koussata et différents villages, dont Méma était la capitale. Surnommé Garakhé pour sa cruauté, il tuait chaque semaine soixante fils aînés parmi les nouveaux-nés, pour contrecarrer la réalisation d'une prédiction qui avait annoncé qu'un des fils des Koussas viendrait à l'assassiner pour prendre sa place. Finalement la prédiction se réalisa. La femme d'un certain Batigui Doucouré accoucha d'un garçon au même moment où son esclave accoucha d'une fille, et Batigui ordonna de permuter les enfants, la fille esclave chez les nobles, le fils noble chez les esclaves, pour sauver le petit garçon, qui grandit et qui finit par tuer le souverain. Lassés de nombreuses haines et de batailles intestines, les Koussas émigrèrent à nouveau en différents lieux selon les clans (Niakate, 1946).
Faré : "roi", en soninké
Garakhé : en soninké, "coups de tête" d'un taureau ou d'un bélier.
BIBLIOGRAPHIE
AGABI C, 1998, article "Ghana" in Encyclopédie berbère, 20 | 1998, Gauda — Girrei.
https://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/1915
ALLIOT Michel, 1981, "L’État et la société en Afrique noire, greffes et rejets", in "État et société en Afrique noire", Actes du Colloque organisé au Centre d’études africaines, Paris, SFHOM (Société Française d'Histoire des Outre-Mers).
https://www.persee.fr/docAsPDF/outre_0300-9513_1981_num_68_250_2286.pdf
BA Abdourahmane, 2017, "Chapitre 1. Le Takrur historique et l'héritage du Fuuta Tooro. L'histoire politique ancienne du fleuve Sénégal", in "Histoire et politique dans la vallée du fleuve Sénégal : Mauritanie / Hiérarchies, échanges, colonisation et violences politiques, VIIIe-XXIe siècle" , dirigé par Mariella Villasante Cervello, et Raymond Taylor, L’Harmattan, 2017
BOXUS Ingrid, 2006, "Processus d’urbanisation dans le Sahara mauritanien", in Revue Afrique Archéologie Arts, 04 | 2006, Varia, p.139-140.
https://journals.openedition.org/aaa/1477
CHAVANE Bruno Antoine, 1985, "Villages de l'ancien Tekrour. Recherches archéologiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal", Editions Karthala et Centre de recherches africaines (CRA), Paris.
CONRAD David Courtney et FISHER Humphrey John, 1982. « The conquest that never was. I. The external Arabic sources », Revue History in Africa, vol. 9, pp. 21 -59
(1983. « The conquest that never was. II. The local oral sources », HA, vol. 10, pp. 53 -78)
DIETERLEN Germaine et SYLLA Diarra, 1992, (avec la collaboration du traducteur Mamadou Soumaré), "L'Empire de Ghana. Le Wagadou et les traditions de Yéréré", Paris, Karthala-Arsan.
FRIDE Alain, 2021, "Aperçu historique sur l'origine des Soninke", Esquisse pour un travail de thèse sur l'histoire des Soninkés.
(99+) Apercu historique sur lorigine des Sonin | Alain Fride - Academia.edu
GADO Boube, 1993, "Un « village des morts » à Bura en République du Niger. Un site méthodiquement fouillé fournit d'irremplaçables informations", in Catalogue de l'Exposition "Vallées du Niger", Réunion des Musées Nationaux (RMN), Paris, Devisse, pp 365-375.
GILBERT Michelle, 2020, "Bura Funerary Urns : Niger Terracottas: An Interpretive Limbo ?", African Arts 53 (1) : 66-75.
HISKETTE Mervyn, 1982, "The development of Islam in West Africa", Londres, Longman
KANE Oumar, 2004, "La première hégémonie peule / Le Fuuta Tooro de Koli Teηella à Almaami Abdul", Collection Hommes et Sociétés, Editions Karthala.
KEA Ray, 2004, "Expansions and Contractions : World-Historical Change And The Western Sudan World-System (1200/1000 B.C. 1200/1250 A.D.)", Journal of World-Systems Research, novembre 2004.
KRITZINGER Ann, 2010, "Close Fit of Seven Towns in Ptolemy’s Geographica with Seven Aoukar Heritage Sites: Impacts on Early Arab Itineraries across Mauritania, Senegal, and Mali", Conférence donnée au XIIIe Congrès de la PanAfrican Archaeological Association (PAA), Dakar, novembre 2010.
(PDF) Close Fit of Seven Towns in Ptolemy’s Geographica with Seven Aoukar Heritage Sites: Impacts on Early Arab Itineraries across Mauritania, Senegal, and Mali (researchgate.net)
MAGNAVITA Sonja, 2013, "Initial Encounters: Seeking traces of ancient trade connections between West Africa and the wider world" : Premiers contacts. La recherche des traces de commerce ancien entre l’Afrique de l'Ouest et le reste du monde, Revue Afriques, 04 | 2013.
NIAKATE Boubou, 1946, "Le clan des Koussas", cercle de Nioro, Soudan ), Notes Africaines (1939-1959), 29 / janvier 1946, p. 5., Institut d'Afrique Noire.
https://ressources.ingall-niger.org/documents/livres/azelik_takedda_roy.pdf
SALIFOU Boubé Yacouba, 2014, "Le modèle d’une nation par le cousinage à plaisanterie : De la pluralité identitaire à l’identité nationale.", Revue Éthiopiques, n° 92, 1er semestre 2014.
SANGARE Souleymane, 2013, "Notes sur la contribution des esclaves et de l’esclavage au développement des Etats en Afrique occidentale (VIIIe-XVIe Siècle)", Le Journal des Sciences Sociales, n° 10, décembre 2013.
http://ekladata.com/xDI04XzgKnui-KiA2foHqPHlbWQ/ARTICLE-JSS.pdf
SANNEH Lamin O, 1976. « The origins of clericalism in West African Islam », Journal of African History, vol. 17, n°1, pp. 490 -72.
SY Yaya, 2000, L'esclavage chez les Soninkés : du village à Paris, In : Journal des africanistes, 2000, tome 70, fascicule 1-2. "L'ombre portée de l'esclavage. Avatars contemporains de l'oppression sociale". pp. 43-69;
https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_2000_num_70_1_1219
VAN DOOSSELAERE Barbara, 2005, « Technologie céramique et Histoire à Koumbi Saleh : premiers résultats, premiers enjeux », Afrique : Archéologie & Arts, 3 | 2004-2005.
http://journals.openedition.org/aaa/2068