Les Trente Glorieuses
Le bonheur pour tous ?
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Fernand Léger, Les Constructeurs (1950).
En cent ans d’existence, le Parti communiste français a toujours entretenu des liens étroits avec les avant-gardes artistiques et culturelles. Mais si certains peintres sont bien connus pour leur engagement avec le parti, tels Pablo Picasso ou Fernand Léger, d’autres, comme Giacometti, Henri Matisse, André Masson, etc., ont aussi cultivé des relations avec lui, à divers degrés, qu’ils aient été militants, sympathisants ou observateurs critiques. En témoignent les formidables collections d’œuvres offertes au parti et déposées depuis dans divers musées."
Libres comme l'art (editionsatelier.com)
Introduction
"Des années 1950, on retient plus facilement la hausse du niveau de vie que les guerres coloniales ; la croissance pétillante que les conditions de travail dantesques dans la chimie, les ports ou le secteur féminisé de l’agroalimentaire. Ainsi, en 1962, on dénombre en France deux mille cent morts d’accidents du travail ; quatre fois plus qu’en 2012, pour une population active bien moins nombreuse.
Les « trente glorieuses » sont aussi celles de la pelle et du marteau-piqueur, des ouvrières sous-payées, des immigrés cloîtrés dans les bidonvilles et relégués aux postes les plus éprouvants par la division raciste du travail, des ravages environnementaux, des carcans moraux et des interdits sexuels. Pour la masse des travailleurs ordinaires, le bénéfice des décennies de croissance n’est empoché qu’après 1968. Et il se résorbe dès 1974-1975, sous l’effet du chômage et de la crise mondiale.
Reste qu’au Nord comme au Sud les sociétés d’après-guerre partagèrent une caractéristique commune : l’ordre établi y fut radicalement contesté ; une part significative des populations désirait son renversement. Le rapport optimiste à l’avenir tenait alors à la conviction que tout pouvait basculer, qu’un autre monde était à portée de main, autant – si ce n’est davantage – qu’à la démocratisation du téléviseur et de la cuisine équipée. On touche là au paradoxe des nostalgiques « trente-glorieux » : ils regrettent à présent un ordre que leurs aînés combattaient hier."
Pierre Rimbert, « C'était mieux avant... », Le Monde Diplomatique, Hors-Série : « Manuel d’histoire critique » • 2014, VIII. Un pays en croissance : la France des « trente glorieuses » (1945-1973) • pages 134 et 135.
"Et l'idée de progrès qui sous-tendait cette mutation n'a pas pour autant été acceptée et partagée par tous, à toutes les échelles où la technique devait transformer le social. Bien des mobilisations, bien des silences et des isolements, bien des distanciations critiques ou artistiques sonnèrent la « complainte du progrès ». Bien des inquiétudes, contestations et controverses, sur les enjeux environnementaux, sanitaires et humains du modèle dominant de « modernisation », ont émaillé la période, préparant ainsi la montée en généralité d'une critique plus massive après 1968. (...) "
Une autre histoire des « Trente Glorieuses », Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre , ouvrage collectif de Céline Pessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil, Editions La Découverte poche, 2016
La période dite des "Trente Glorieuses" est très souvent caricaturée, idéalisée, dans les médias, ou ailleurs, et les notions de "plein-emploi", de "prospérité" qui lui sont attachées soulignent bien l'aspect radieux qu'on lui prête en général. Cet éclat est d'autant mieux entretenu que cette parenthèse économique est une référence unique dans l'histoire sociale de l'Europe. Il n'existerait pas d'autres temps aussi bénis pour les générations suivantes, que les médias évoquent très souvent avec nostalgie, comme une sorte de paradis perdu : "Oublions les « trente glorieuses », une prospérité sans croissance est possible", titrait le journal Le Monde, le 8 décembre 2013. La spécialiste économique Valérie Rabault, quant à elle, pense "que la France peut revivre une période de prospérité économique et sociale d’ici 2040" (Rabault, 2011), comprenez : le pays a déjà connu cet horizon indépassable et le retrouvera dans l'avenir, d'où le titre du livre qu'elle a coécrit : "Les Trente Glorieuses sont devant nous" (Berger et Rabault, 2011). A lire la propagande officielle, c'est un ciel sans nuage qui recouvrait alors la France, dont on se souvient, là encore, avec nostalgie : "Mais les Français et Françaises, comme les autres Européens, ne font pas que travailler : ils font aussi des enfants. C’est le « baby boom » (...) Un dynamisme qui fait aujourd’hui rêver (...) Le rêve américain devient réalité (...) Les Français s’enrichissent, le chômage tombe en Europe à 2,4% de la population active et les premiers lotissements de maisons individuelles préfabriquées se multiplient : à chacun son « home sweet home »."
FACILÉCO, Culture économique, 120 000 ans d'histoire : "Les Trente Glorieuses", Site officiel du Ministère de l'Economie et des Finances.
"Trente Glorieuses" : Chrononyme tiré du titre d'un livre de l'économiste Jean Fourastié, "Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975", Fayard, 1979, formule inspirée de la révolution de 1830, "Les Trois Glorieuses"
Les manuels scolaires, pour une part propagande aussi, du récit national, ne sont pas en reste. En 1983, l'es éditions Hatier parlent de "l'âge d'or des pays industriels" aux lycéens de terminale, avant de diffuser à leur tour l'expression de Fourastié, en 1989. Dans les années 2000, "les manuels scolaires des années 2000 édités par Belin, Hatier, Nathan et Hachette emploient l’expression avec des majuscules (...) Faire usage de cette expression permet d’éviter la connotation historiographique et politique problématique de l’âge d’or, tout en conservant sa propriété lénifiante. Après plus de trente ans d’usage insuffisamment objectivé, il convient aujourd’hui de revenir sur cette appellation issue de la vision nostalgique d’un économiste" (Pawin, 2013).
S'attachant à des indicateurs de croissance (5,3 % par an entre 1949 et 1974), de taux de chômage (entre 2 et 3% dans presque toute l'Europe), les économistes, les experts, le regard des observateurs de tout poil sur cette période est très instructif, qui construit un mythe de la modernisation, fasciné par les chiffres et les statistiques de taux d'équipement des familles : automobiles, télévisions, robots ménagers, réfrigérateurs, machines à laver, etc. (Sirinelli, 2007 : 45-49 ; Zancarini-Fournel et Delacroix, 2010 : 90), mais aussi d'autres indicateurs positifs qui concerne une grande partie de la population, mais faisant totalement l'impasse sur toute une frange de la population en souffrance pour des raisons diverses. Par comparaison avec les années 1946-1950, au milieu des années 1970, le "nombre de logements de moins de sept ans a augmenté de 450 000 à 4 millions (sous l’effet de l’urbanisation)... La mortalité infantile est tombée de 84,4 pour mille à 13,8 (une baisse à mettre en relation avec la généralisation des contrôles médicaux pendant la grossesse et de l’accouchement en milieu hospitalier), et l’espérance de vie s’est accrue (de 61,9 années à 69,1 pour les hommes, de 67,4 à 77 pour les femmes). Le niveau de vie a plus que triplé par rapport à celui de 1938. Le pouvoir d’achat a été multiplié par 3,5. La population scolarisée après 14 ans est passée de 650 000 à 4 millions." (Aymard, 2010 ).
Cette vision du monde, "forgée par les technocrates modernisateurs/trices d'après-guerre" (Une autre histoire des Trente Glorieuses, op. cité), se retrouve encore largement dans les manuels de ces vingt dernières années, qui dépeignent "encore largement une société française conquise par la croissance, en marche consensuelle vers une civilisation de la productivité, des innovations techniques, des loisirs et de la consommations" (op. cité), se bornant à montrer les laissé.es pour compte de la modernisation comme autant de victimes du poujadisme et à admettre la situation, peu glorieuse, celle-là, nous le verrons, des travailleur.s.euses immigré.e.s, autant de sujets sur lesquels Alfred Sauvy alertaient déjà les pouvoirs publics au milieu des années 1950, pointant du doigt, entre autres choses, le sous-emploi dans le commerce, le sous-développement de certaines régions, ou encore, la faible richesse disponible par habitant, qui était alors semblable à celle de... 1929 (Sauvy, 1955).
Il montre à quel point une grande majorité de l'intelligentsia, biberonnée à la science économique libérale, pense connaître l'état d'une société en alignant des chiffres et des statistiques élogieuses, alors qu'ils masquent beaucoup de réalités humaines peu enviables. De nombreuses communications médiatiques n'annoncent que les bons pourcentages, en occultant les mauvais, qui ne sont pourtant pas négligeables à l'échelle de tout le pays. Ainsi, quand on se penche sur les chiffres produits par le premier chantre des Trente Glorieuses, Jean Fourastié, on peut bien évidemment se réjouir qu'à la toute fin de la période, en 1975, les deux tiers des Français disposaient de l'eau chaude, d'un WC, d'une douche ou d'une baignoire dans leur logement, contre une toute petite minorité en 1945 (Lucido, 2017), mais on ne peut pas ne pas voir que près d'un Français sur trois ne disposait pas de tous ces éléments de confort . On ne parle pas de dizaines, de centaines, ni même de milliers de personnes, mais de... 18.000.000 ! Comme la situation s'est beaucoup dégradée depuis, nous le verrons, on peut affirmer avec certitude, qu'indépendamment de ces progrès accomplis, des millions de personnes sont demeurés dans une situation de logement précaire tout au long de cette période d'embellie pour le plus grand nombre. De plus, nous verrons que cette situation ne touche pas, loin de là, que le logement, mais les conditions de travail et, partant, la santé, l'éducation, etc. Cette manière de faire est dans la droit continuation de la pensée libérale, qui ne voit dans le travailleur qu'une unité économique, et non pas une personne avec des besoins, des sentiments et des aspirations. Se gargariser du plein emploi ou du bien-être général quand de très nombreux métiers demeurent accablants pour le physique et le psychique des ouvriers, témoigne d'une tromperie idéologique, auquel le libéralisme, le capitalisme nous a habitué, nous l'avons vu ailleurs, depuis le début de son histoire. Les militant.e.s politiques et syndi.caux.cales, puis les historien.nes ont très tôt pointé du doigt la prétendue homogénéisation des conditions et relevé "la persistance de rapports d'exploitation, l'évolution du travail dans le sens d'une intensification des rythmes et des conflits, plutôt que celui d'un soulagement et d'une paix des ateliers." (Une autre histoire..., op. cité, cf. Hatzfeld, 2002 ; Vigna, 2012). mais aussi, plus récemment, ils et elles ont montré, de la part de diverses instances (syndicats, gestionnaires, experts), une minimisation et une occultation fréquente des maladies professionnelles (Une autre histoire des Trente Glorieuses, op. cité, cf. Bécot, 2012).
Ainsi, "Loin des velléités de rationalisation ou de modernisation élaborées dans les bureaux des ministères économiques, les réalités témoignent de fait d’une profonde régression technologique, économique, sociale, voire biologique et morale, avec son cortège de replis et d’archaïsmes résurgents. Et ces réalités perdurent au-delà de la Libération, et sans doute même au-delà de la fin du rationnement (1949), tant il est vrai que le pouvoir d’achat moyen des salaires directs rejoint son niveau d’avant-guerre seulement au mieux dans les premières années cinquante. Les travaux sur les premières des Trente Glorieuses, longtemps polarisés sur les taux globaux de croissance ou sur le dynamisme des branches motrices, sous-estiment trop souvent la trace de cette vaste régression, dont on commence, mais de manière très partielle, à mesurer les effets à des échelles multiples." (Margairaz, 2009). D'autre part, on notera que, contrairement "à une idée répandue, les Trente Glorieuses ont été marquées par une progression des inégalités de revenus." (Observatoire des inégalités, "Les inégalités augmentent-elles ?", 15 mai 2007).
"De 1945 à 1983, l’évolution des inégalités est plus heurtée pour le revenu que pour le patrimoine. À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, la hiérarchie des salaires se reconstruit et la part du capital dans l’économie française se redresse, ce qui conduit à une hausse des inégalités de revenus. Les évènements de mai 1968 marquent l’arrêt de ce mouvement haussier." (Garbinti et Goupille-Lebret, 2019)
"Les fortes critiques des petits commerçants ou des syndicats vis-à-vis des politiques de maîtrise de l’inflation, de la faiblesse des salaires, du système d’indexation des prix ou de l’insuffisance de logement – que je rappelle, après d’autres, dans l’ouvrage – doivent aussi nous rappeler que les « Trente Glorieuses » et le système « fordiste » de répartition entre travail et capital étaient loin d’être alors reconnus comme un âge d’or. N’oublions pas les révoltes poujadistes, les mouvements contre la pauvreté et pour l’accès au logement, et ce qui motiva les grandes grèves de cette période, jusqu’à celles de 1968." (Delalande, Monnet, Quennouëlle-Corre et Warlouzet, 2020)
"Les Trente Glorieuses",
roman critique, de
Fabienne Serbah Le Jeannic,
préface de l'historienne
Ludivine Bantigny
éditions du Croquant, 2020
On le voit bien, la réalité des femmes et des hommes, très loin des chiffres, tableaux, indices ou formules des économistes, est ailleurs. Quelle satisfaction tirer du "plein emploi", en effet, quand les conditions de travail répondent aux méthodes du taylorisme et du fordisme ? quand la pollution se fait à grande échelle ? quand la plus grande partie des retraités ou une partie des ouvriers, immigrés surtout, demeurent pauvres ? Au point où Christophe Bonneuil et Stéphane Frioux préfèreraient rebaptiser « Trente Ravageuses » cette période allant de 1946 à 1975 ("Une autre histoire des Trente Glorieuses", op. cité). A cette époque de croissance, de développement économique, la pauvreté, justement, intéresse peu les bien-portants, et elle est soigneusement invisibilisée par l'Etat :
"Dans un rapport de la commission mixte du Sénat et du Congrès américain sur les systèmes de protection sociale et de lutte contre la pauvreté dans plusieurs pays à la fin des années 60, on pouvait lire que, « en France, il n’y a aucune reconnaissance officielle du fait que la pauvreté existe ». Il est clair qu’il n’y avait pas à cette époque, mis à part le minimum vieillesse, de revenu minimum garanti et que les institutions sociales n’avaient pas défini, contrairement à d’autres pays, un seuil unique de pauvreté. Il est frappant aussi de constater que l’économiste Jean Fourastié dans son brillant essai sur les « trente glorieuses » ne parle pas directement de la pauvreté. L’expansion économique, le plein emploi et l’augmentation du pouvoir d’achat semblent avoir occulté ou rendu marginal ce phénomène." (Paugam, 2002).
Ce n'est donc pas un hasard si tous "les sondages d'opinion conduits de 1956 à 1974 sont formels : une majorité des Français interrogés soutiennent mordicus, contre toute évidence, qu'entre ces deux dates leur niveau de vie et leur pouvoir d'achat n'ont pas progressé. Ils concèdent certes que ceux-ci n'ont pas baissé, mais ils ne créditent les « années de Gaulle » et les « années Pompidou » d'aucun effet positif sur leur vie quotidienne. (...) Il est vrai que les fruits de la croissance économique et de la modernisation du pays ont été très inégalement partagés. Ce fut même un lamento médiatique assez orchestré du début des années 1970 que la déploration d'une « France pauvre », celle des paysans endettés ou crevant sur pied, des petits commerçants aux abois, des vieillards économiquement faibles, des immigrés et des OS surexploités, des régions appauvries par une tenace « colonisation » parisienne que l'aménagement du territoire n'avait pas su abattre."
Mensuel L'Histoire, N¨192, "Ah, si les Français avaient connu leur bonheur !"
" – Même sur le terrain social où les avancées ont été fortes, les salariés ont échangé la protection, un travail quasi à vie (et même à vie au Japon), des salaires élevés et progressifs et donc un haut niveau de consommation, ou la promesse de la promotion sociale pour eux et/ou leurs enfants contre leur acceptation de l’autorité patronale, leur subordination, et le «travail en miette». Ce compromis fordiste avec échange de subordination contre protection et garantie du niveau de vie et de sa croissance a pu être comparé à une situation «néo-féodale» (au soi-disant contrat de servage, aux règlements des corporations médiévales, au statut élisabéthain, the Statute of artificers)"
– Le mode de production fordiste suppose et impose une division parcellaire et hiérarchique du travail, aliénante et destructrice de la relation entre le producteur et le produit. Sont privilégiées les formes de coopération dans le procès de travail qui maximisent le surplus extrait par le capital et sa domination sur le travail." (Dockès, 2019).
Il n'est pas jusqu'au fameux "Etat Providence" qui ne soit susceptible d'être interrogé de la même manière, puisqu'il "s’agit de savoir à partir de quand un tel modèle a pu voir le jour : à ses débuts, dans les cartons idéaux de la Résistance ? en son milieu, aux heures des plus hauts conflits sociaux de l’après-guerre ? ou à sa fin, quand il commence justement à s’écarteler entre une amélioration enfin tangible des conditions de travail et de salaire, et un effondrement du plein emploi ?" (Blanchard et Duchêne, 2005). Pourtant, indubitablement, une des meilleures choses qui se soit produite en pleine deuxième guerre mondiale, c'est bien le programme du Conseil National de la Résistance (CNR), intitulé "Les jours heureux", un projet qui prévoit en particulier "un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État." ou "une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours"
Programme du Conseil National de la Résistance, 15 mars 1944
https://fr.wikisource.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance
"Etat Providence" : Le choix du mot est pas un hasard, chargé de préjugés sur "une relation à sens unique d'un État bienfaiteur envers une population bénéficiant passivement des aides qu'on lui donne. Le sociologue Robert Castel lui préfèrera le terme "Etat social", où "l'Etat joue davantage un rôle de tiers, ou d'intermédiaire entre des groupes sociaux portant des intérêts opposés" (Le Gauyer, 2020). On ne s'étonnera pas que le terme a été diversement forgé par les libéraux qui, dès la Révolution de 1848 (Merrien, 2019), cherchent à "moquer un État prétendant remplacer la Providence divine", puis à "discréditer les tentatives d'une loi nationalisant les assurances sociales... Charles Dolfuss, industriel alsacien, écrit en 1865 : "Les disciples de l'État-Providence [...] nous placent sans le vouloir, nous l'avons répété, sur les pentes du communisme. L'État-Providence est donc, par analogie, une mise à mal de l'initiative et de la liberté individuelle." (op. cité).
Ces grandes lignes de réforme sociale, très largement inspirée par les mouvements de gauche, ne doivent pas être confondues avec le système de protection sociale lui-même, qui dans le cas français, nous le verrons, "s'est mis en place très progressivement" (Blanchard et Duchêne, 2005). Par ailleurs, il ne doit pas faire oublier un certain nombre d'engagements dont il est très simple de comprendre qu'ils ne pouvaient qu'être rhétorique dans une société capitaliste, comme le fait d'établir "une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général." ou encore "l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi." (Programme..., op.cité), Quant à "l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie", "la participation des travailleurs à la direction de l’économie", ou encore l'extension "des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales", elles ne peuvent que faire sourire.
Signalons, enfin, la protection provisoirement assurée, après guerre, d'un certain nombre de biens communs par des nationalisations d'entreprises, prévues par un article spécifique du programme du CNR : "le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques" (Programme..., op.cité). De ces mesures d'intérêt commun, seule la sécurité sociale fait encore figure d'acquis, résistant (mais pour combien de temps ?) aux coups de boutoir des liquidateurs capitalistes. Le reste fait toujours figure de vœux pieux ou a depuis longtemps nourri, nous le verrons plus tard, les appétits carnassiers du marché ultra-libéral.
gauche : ""Contrairement aux schémas habituels qui veulent que l’expansion d’un phénomène dans l’opinion le tempère ou le modère, le centre de gravité politique de la Résistance s’est nettement déplacé vers la gauche en même temps que le mouvement résistant s’installait plus largement dans la société. On peut même se demander si la Résistance n’a pas suivi le mouvement social plutôt qu’elle ne l’a devancé. Les grandes étapes de l’adoption du programme montrent le rôle décisif joué par les gauches dans le processus, mais l’unanimité obtenue et la suite de l’histoire dans le pays libéré attestent la dimension transpartisane du consensus." (Andrieu, 2014).
nationalisations : nationalisation de 34 sociétés d’assurances, voulue par André Philip et réalisée le 24 avril 1946, des charbonnages le 17 mai 1946, (Andrieu et al., 1987).
"– Et alors Ginette, comment voteras-tu* ?
– Oh moi je n’aime pas la politique. Je veux d’abord qu’on s’occupe des gosses.
– Tu as raison là-dessus, Ginette. Mais pourquoi n’aimes-tu pas la politique ? Sais-tu ce que ce mot-là veut dire ? Il veut dire « ce qui intéresse la cité ». Ce qui intéresse ta ville, ton pays, cela t’intéresse, n’est-ce pas ? […]
– Alors réclamer du lait frais et qui ne tourne pas, pour mon petit, c’est de la politique ?
– Bien sûr Ginette, et de la bonne […]"
J. Marchand, « Ginette, comment voteras-tu ? », L’Humanité, 29 novembre 1944.
* Le droit de vote et l'éligibilité des femmes sont pour la première fois accordés en France par l'ordonnance du 21 avril 1944.
« Les ombres de la France riche »
Les observateurs et observatrices les mieux avisées de cette période des Trente Glorieuses, nous l'avons vu, ne se sont pas contentées de la moisson de cocoricos récoltés un peu partout au sujet du bonheur général de la population française et ont montré l'envers de "la geste modernisatrice" (Lejeune, 2015) qu'on a le plus souvent cherché à dépeindre. Ajoutons au passage que le sujet est loin d'être seulement un phénomène français : "L’apparition d’une légende dorée des années 1960 n’est d’ailleurs pas un phénomène propre à la France : les « sixties » anglaises, les « miracles économiques » allemand (Wirtschaftswunder) ou italien (miracolo economico) rappellent les « Trente Glorieuses »" (Pawin, 2013).
Car, s'il y a bien une France qui, progressivement, roulera en voiture, consommera avec frénésie, prendra des vacances, fera du tourisme à l'étranger, il y en a une autre que le journaliste Paul-Marie de la Gorce appellera les "vaincus de l'expansion", "les ombres de la France riche", dans son ouvrage paru en 1965, La France pauvre. On y découvre que beaucoup de travailleurs âgés de plus de quarante-cinq ans ont perdu leur emploi, qu'un certain nombre acceptent de faibles rémunérations, qu'entre un tiers et une moitié des retraités (le plus de 65 ans sont alors 5.527.000) vivent en état de "pauvreté absolue". Comme pour le logement, nous parlons de grandes difficultés de vie concernant, une fois de plus, de millions de personnes. Cinq millions de femmes et d'hommes qui vivent le plus souvent avec moins de 200 F par mois. Deux millions de travailleurs et de travailleuses gagnent moins de 500 F par mois. Un million de paysans peinent à vivre de quelques hectares de terre (Tristan, 2017). On comprend alors pourquoi la Revue Esprit, tout en reconnaissant la part de bien-être apporté par le progrès technique à une majorité de la population, se fait l'écho, au travers du livre de de la Gorce, des "minorités nombreuses que le progrès laisse de côté", dans les pays développés, comme les Etats-Unis ou la France ("Paul-Marie de la Gorce : La France pauvre', Revue Esprit, juin 1966, article de Jules Klanfer).
C'est au milieu des années 1950 que s'élève le cri de l'abbé Pierre, nous allons l'examiner plus loin, et que, quelques années plus tard est créé ATD Quart-Monde (1957). Au milieu des années 1960, cette fois, Georges Perec, dans son premier roman, se fait l'écho de l'effet qu'avait produit chez lui ce changement profond de société, puisqu'il confiera en interview télévisée que ses héros sont les interprètes de ses propres préoccupations : "L’ennemi était invisible. Ou, plutôt, il était en eux, il les avait pourris, gangrenés, ravagés. Ils étaient les dindons de la farce. De petits êtres dociles, les fidèles reflets d’un monde qui les narguait. Ils étaient enfoncés jusqu’au cou dans un gâteau dont ils n’auraient jamais que les miettes (...) Ils étaient un petit îlot de pauvreté sur la grande mer d'abondance... ". Jérôme et Sylvie, les personnages de son histoire "regardaient autour d’eux les grands champs jaunes avec les petites taches rouges des coquelicots. Ils se sentaient écrasés." Devant cette exaltation consommatoire, l'écrivain écrit aussi : "On ne peut vivre longtemps dans la frénésie. La tension était trop forte en ce monde qui promettait tant, qui ne donnait rien. Leur impatience était à bout. Ils crurent comprendre, un jour, qu’il leur fallait un refuge." (Georges Perec, Les Choses, Une histoire des années soixante, 1965, prix Renaudot la même année).
On ne peut pas ne pas évoquer ici le mouvement de grogne initié au milieu des années 1950 par Pierre Poujade, libraire-papetier à Saint-Céré, dans le Lot, et qui a agrégé mécontentements et frustrations d'une partie de la population, tout particulièrement les paysans, les artisans et les petits commerçants, en réaction aux métamorphoses capitalistes qui commençaient d'agiter le commerce. Cependant, un bon nombre de commerçants ne partage pas la précarité répandue chez les immigrés ou les retraités, Quand se constitue à Cahors, le 29 novembre 1953, l'Union de défense des artisans et des commerçants, une grève avait paralysée la France pendant l'été, partie du centre du tri postal à Bordeaux. Si des points de convergence existent entre actuels Gilets Jaunes et Poujadistes, il est à rechercher autour de la notion d'anti-système, de la France d'en bas contre celle d'en haut, de la France nantie contre celle qui se lève tôt pour de longues journées de travail. Mais le mouvement teinté de xénophobie et d'antisémitisme du petit papetier de Saint-Céré ne s'adresse pas à la population la plus éloignée de l'économie florissante.
Si le décret-loi du 9 septembre 1939 avait contrôlé la création, le transfert ou l'extension d'entreprises industrielles, pour prévenir de la concurrence déloyale ou de l'attrait spéculatif de la guerre, la liberté du commerce est rendue par François Billoux, ministre communiste en 1945 : Michel Margairaz parlera de "l'a-dirigisme' des communistes en 1945 (Margairaz, 1991).
La période des Trente Glorieuses n'est pas encore terminée que le thème de l'exclusion fait son entrée dans le débat public, au début des années 1970, l'ouvrage le plus emblématique sur le sujet étant sans doute celui de René Lenoir, secrétaire d'Etat à l'action sociale : LES EXCLUS, Un Français sur dix (Le Seuil, 1974), autant de personnes qui seraient touchées par une "inadaptation sociale", des gens vivant en marge de la société, déracinés, déconnectés du parcours normatif de la majorité des citoyens, que l'auteur estime à 10 % de la population, pire, un sur cinq si on compte la débilité physique ou mentale : Là encore, nous parlons de millions, voire de dizaines de millions de personnes : L'auteur estime à 15 millions le nombre de personnes qui "vivent encore dans les zones de pauvreté et de dénuement." (R. Lenoir, op. cité : 28). Mais le livre du haut-fonctionnaire n'est pas, loin de là, exempt de défaut. Faisant l'impasse sur les conditions socio-économiques des "inadaptés" sociaux, l'auteur englobe les populations fragiles dans une vague catégorie médico-judicaire, criminologique, qui rappelle les très nombreux propos moralisateurs des libéraux, nous l'avons vu, sur la misère sociale, et qui ouvrent une porte, jusqu'aujourd'hui (ces lignes sont écrites au moment même où Eric Zemmour se déclare candidat à la présidentielle française de 2022), aux idéologies de droite, sécuritaires, victimistes, qui évacuent les causes profondes de la misère sociale. Ainsi, il craint que "l'Autre France" ne submerge le pays, invoquant la solution de la répression policière si "la lèpre" ou "la grangrène" venait à s'étendre. On parle ici des mêmes victimes de maux sociaux dont il est question depuis le XIXe siècle : marginaux, enfants fugueurs, mères célibataires, prostituées, etc., et beaucoup moins des chômeurs, des habitants de logement insalubre, des pauvres immigrés, etc. Hors quelques mesurettes, c'est à un sursaut moral (encore et toujours) qu'il appelle, pour retrouver "le sens de la convivialité", "un sourire derrière chaque guichet, "un jardin devant votre porte", etc.
Dans un numéro spécial du Droit social, différentes personnalités politiques emboîteront le pas de Lenoir, comme Jacques Attali, alors conseiller du parti socialiste, dont on appréciera la tirade démagogique (nous nous pencherons en temps voulu sur l'ensemble de son parcours) : "Tous exclus. C'est le plus terrible constat sur la société d'aujourd'hui" (Jacques Attali, Revue Droit social, n°11, novembre 1974, numéro spécial dirigé par Jean-Michel Belorgey : L’exclusion sociale) : 29). Ou encore : "l'homme fabrique les instruments de sa propre exclusion : les immenses machines dont il devient l'esclave, les immenses villes dont il est le serviteur, la médecine dont il attend servilement la survie, une innovation désordonnée qui exacerbe sa consommation d'énergie, une anthropophagie suicidaire qui l'exclut de la pensée et de la création". C'est l'habituel gloubi-boulga libéral dont Attali est un éminent représentant qui met dans le même sac le capitaliste qui achète des machines, les ouvriers qui la subissent, et l'ensemble des hommes qui finissent de pâtir des conséquences des actions des dominants, un camp auquel ne cessera jamais d'appartenir Jacques Attali lui-même.
On voit donc, ainsi, toutes sortes de cuistres imbus de leur culture et de leur position sociale statuer sur la situation de la pauvreté avec un humanisme bon teint, distillé de références morales, culturelles ou chrétiennes. Gilbert Mury, par exemple, évite de parler du combat politique des pionnières sociales et préfère leur accorder "un grand cœur" (op. cité : 163). Jacques Delors, quant à lui, pense que "... cette lutte ne peut avoir de fin. Même dans la meilleure des sociétés, il se renouvellera toujours des formes de marginalité ou d'inégalité; ne serait-ce qu'en raison de la nature foncière de l'homme. Il n'est, en effet, au pouvoir de personne de transformer radicalement l'homme de telle sorte qu'il renonce à tout jamais à la violence, à l'agressivité, à la non-communication ou bien encore au souci de se distinguer des autres." (op. cité : 191). René Lenoir, dans son livre, disait en substance la même chose : "« ... il subsistera toujours, dans la société, des enfants ou des adultes perturbés ou inadaptés" (Les exclus, op. cité : 102). Les libéraux, néo au pas, n'ont cure de rechercher les causes sociales de la pauvreté. Il ou elle décrète péremptoirement le degré de responsabilité personnelle de l'individu, qui conditionne la société appelée de leurs vœux, qui "devra constamment rappeler à chaque homme et à chaque femme, qu'au-delà des possibilités qu'elle leur offre, demeurent intangibles, la part de l'aventure personnelle, le face-à-face avec soi-même, la mise en jeu de sa propre responsabilité. Autrement dit, le bonheur comme le malheur ne sont pas qu'une affaire de société" (Jacques Delors, Droit social, op. cité : 194). C'est un truisme qu'énonce là le futur ministre de l'Economie, mais qui ne dévoile pas l'importance, pour celui qui le prononce, la part qui revient à la société et à l'Etat dans l'accomplissement du bien commun. On la comprendra mieux quand on se penchera sur les idées très libérales du personnage.
La plupart des contributions de ce numéro du Droit social proposent des solutions forcément très libérales, d'ailleurs, pour lutter contre la pauvreté. Celle qui a sans doute fait le plus parler d'elle est celle qui se fonde sur la théorie de l'impôt négatif, proposé par Milton Friedman dans son ouvrage Capitalisme et Liberté (1962) et développée semble-t-il pour la première fois en France par les deux conseillers, de Valéry Giscard d'Estaing (à compter de 1969) Christian Stoffaës et Lionel Stoleru, contributeurs, eux aussi de ce numéro spécial. Comme d'autres libéraux, ils pensent qu'il faut trouver des solutions comportant "moins d'incitations à la paresse" (on appellera ça ensuite la "désincitation au travail"), en calculant un "taux modérateur d'oisiveté" pour que l'impôt négatif ne se transforme pas en prime aux feignants qui ne voulaient rien faire. Jacques Delors est sur la même longueur d'onde : " Il est vrai que lorsque les règles d'indemnisation du chômage sont très améliorées, l'oisiveté se trouve encouragée".
Dans son cours au Collège de France, Michel Foucault, analysant les bases du néolibéralisme, a montré comment l'impôt négatif était le fruit d'une idéologie de gouvernement qui ne croit plus au plein-emploi. L'impôt négatif tourne le dos à la solidarité redistributive établie après la guerre. Le néolibéralisme sépare les pauvres des non-pauvres par un seuil au-delà duquel " on va laisser jouer les mécanismes économiques du jeu, les mécanismes de la concurrence, les mécanismes de l’entreprise. (…) Chacun devra être pour lui-même ou pour sa famille une entreprise ». Sous le seuil, et à sa lisière, se trouve « une espèce de population flottante (…) qui constituera, pour une économie qui a justement renoncé à l’objectif du plein-emploi, une perpétuelle réserve de main-d’œuvre". La béquille de l'assistanat libéral "laisse aux gens la possibilité de travailler s’ils veulent" et "se donne la possibilité de ne pas les faire travailler, si on n’a pas intérêt à les faire travailler" (Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Gallimard-Seuil, coll. « Hautes Etudes », Paris, 2004).
« Mes amis, au secours ! »
"La Seconde guerre mondiale laisse une partie de la France en ruines. La situation est catastrophique : 45% des logements sont surpeuplés et 10% de la population vit dans des locaux totalement insalubres. Le confort est plus que rudimentaire : 90% de la population n’a ni baignoire ni douche, 80% pas de WC intérieurs et 48% pas d’eau courante. A cela s’ajoute le déficit chronique de logements, dramatique à Paris et dans toutes les grandes villes. "
L'histoire du logement social | L'Union sociale pour l'habitat (union-habitat.org)
"Il s'agit pour le ministère d'atteindre les objectifs de mise en chantier qui permettraient de disposer sur le marché de 300 000 logements nouveaux par an. Or, on est loin du compte : à la fin de 1952, on atteint tout juste les 100 000. Cette nécessité politique, renforcée l'année suivante par la campagne de l'abbé Pierre, est à l'origine des lois de 1953 (1 % du montant des salaires versé par les entreprises pour le logement, Logecos. . .)." (Voldman, 1984)
Les fonctionnaires ont des attentes de modernité (habitations confortables, fonctionnelles, planifications d'aménagement, etc.), en droite ligne des Congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM), mais la pénurie est si importante qu'elle pousse les ministres à délivrer rapidement des résultats, au prix d'une vision à court terme, voire au jour le jour, avec des réalisations à la va-vite, en série (Voldman, op. cité)
Le 1er février 1954, l'abbé Pierre lance son célèbre appel en faveur des sans-logis et ce que l'on a pu appeler dans les journaux l'"insurrection de la bonté" s'est fait entendre non seulement en France, mais dans le monde. Presque dix ans après la fin de la guerre, la situation du logement était toujours catastrophique, avec près de 15 millions de personnes habitant des logements surpeuplés, près de la moitié de la population si on y ajoute les logements insalubres, les taudis, selon l'Observatoire des Inégalités (L’état du mal logement en France (inegalites.fr). L'abbé Pierre écrit une lettre ouverte au ministre du MRU (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme), Maurice Lemaire (1895-1979) pour lui demander d'assister aux funérailles d'un enfant mort gelé dans les bras de ses parents, à la Cité des coquelicots, à Drancy.
L'homme d'Eglise et l'homme d'état s'entendront sur la construction de cités d'urgence, dont la première sera bâtie dans le courant du mois, sur un terrain acquis par l'abbé Pierre au Plessis-Trévise. et qui portera comme beaucoup de programmes d'habitations populaires, un nom enchanteur : La Cité de la Joie, dont la construction des cinquante-et-un logements sont confiés à l'architecte François Spoerry (1912-1999), qui avait construit les plans de la première cité d'urgence de Sausheim, près de Mulhouse, en 1953, Dans le même temps le gouvernement annonce la construction de 12000 logements économiques de première nécessité (LEPN). Mais les budgets alloués sont si comprimés ("le prix unitaire d’un logement de Sausheim s’établissait à un peu plus d’un million de francs, meubles compris, alors que le budget maximum par logement au Plessis-Trévise est de 650 000 francs") que Spoerry s'en inquiète auprès de l'abbé Pierre :
"On vous a dit qu’il était possible de faire pour 500 000 francs un logement simple mais confortable. Ce n’est pas vrai, car aucun des pays mieux équipés que nous n’y a réussi. On vous a dit que ces maisons seraient durables et que leurs frais d’entretien seraient minimes. Ce n’est pas vrai, car on ne peut pas pour ce prix enduire convenablement les murs et il n’y aura même pas de gouttière. On vous a dit que ces logements seraient perfectibles. Ce n’est pas vrai car les sociétés propriétaires ne disposent d’aucun fond en dehors de leurs maigres loyers, et le confort collectif ne s’ajoute pas après-coup. On vous a dit que ces cités seraient d’un aspect agréable. Ce n’est pas vrai à moins d’admettre que les alignements de baraques de Buchenwald et de Dachau étaient plaisants."
François Spoerry, Lettre à l'abbé Pierre du 20 avril 1954
Ni le curé, ni, surtout, le ministre n'écouta Spoerry. Ce dernier fut écarté du projet Plessis-Trévise, et la seconde tranche des travaux fut confiée à Pierre Dufau avec qui il aurait dû travailler conjointement :
"Lorsque l’architecte Thierry Gruber (né en 1935) est invité en 1976 par la SA HLM Emmaüs à intervenir au Plessis-Trévise, les logements de Pierre Dufau ont déjà été entièrement démolis. Il ne reste qu’un seul logement de François Spoerry sur le terrain ; les cinquante autres ont disparu."
(Bonnard, 2018)
La période courant de la fin de la seconde guerre mondiale au milieu des années 1960 porte le sceau de ce que le chercheur Cédric David appellera "municipalité sociale idéale" : Les idées communistes triomphent localement, épousées largement par une classe ouvrière encore bien inscrite dans l'industrialisation du pays. On pourrait alors imaginer que les communes aient toute latitude pour décider de construire tous les logements nécessaires à mettre fin au mal-logement, mais il n'en est rien. Chaque municipalité "doit batailler avec sa tutelle préfectorale et s’accommoder des restrictions de cette dernière." Le logement social "reste un bien rare, distribué avec parcimonie à des candidats soigneusement triés. (...) Si les « Français Musulmans d’Algérie » font bien l’objet d’un traitement spécifique, à la fois social et policier , ainsi que d’une sélection plus drastique pour l’obtention d’un logement social, ils sont néanmoins présents au sein du patrimoine de l’Office." (Vulbeau, 2019).
La Madone des squatteurs
Dans le domaine du logement ou dans beaucoup d'autres, le pouvoir des caciques politiques supportent très mal les projets, les initiatives individuelles de citoyens qui s'écartent des normes. Il en sera ainsi d'Antoinette Kipfer, alias Christine Brisset, entrepreneuse, une des premières femmes pilotes de France (présidente de l'Aéroclub de Bourgogne), journaliste engagée dans les causes sociales, avant de devenir, après la deuxième guerre mondiale, la "Fée des sans-logis", "Madone des squatteurs", la "Passionaria des Pauvres" ou encore "la Jeanne d'Arc des sans logis", et qui, pour des centaines d' occupations de logement comparaîtra plus d'une cinquantaine de fois au tribunal entre 1947 et 1962. Appelée par la Commission Familiale et ouvrière du logement (CFOL), regroupant des associations familiales et des syndicats du logement à Angers, la journaliste est convaincue sur le champ de la pertinence et de l'importance de ce combat. "Le principe de l'action est simple : il s'agit de forcer l'application de l'ordonnance du 19 octobre 1945 instituant pour les communes, moyennant arrêté préfectoral, le droit de réquisition des logements vacants ou inoccupés au profit des familles sans logis. Avant de passer aux actes, Christine emprunte toujours les voies légales jusqu'au constat d'échec. Ce n'est qu'après de multiples propositions de location amiable au propriétaire d'un logement inoccupé (paiement d'avance sur la base de la surface corrigée) restées sans effet qu'elle demande une ordonnance de réquisition ; faute d'obtenir satisfaction, elle informe les autorités de la date prévue pour le squattage. Après l'occupation, le mobilier trouvé sur place est soigneusement inventorié et consigné dans une pièce fermée à clef. Dans la grande généralité des cas, les propriétaires entérinent la location consentie de force. Ainsi, sur les 317 occupations effectuées de 1947 à 1949, cinq propriétaires seulement portent plainte !" (Légé et Tanter, 1987). La "Jeanne d'Arc des squatters" n'est même pas une révolutionnaire radicale, elle n'est pas contre le droit de propriété, propose que les appartements soient tous occupés, même si c'est selon la classe sociale de chacun. Ainsi, occupant un château proche d'Angers, elle se borne à ne réquisitionner que d'humbles pièces : cuisine, office, chambre de bonne et communs. Mais tout cela passe mal auprès des bonnes gens, et le durcissement des peines à son encontre (deux mois de prison ferme) "témoigne de l'indignation de la bourgeoisie locale à l'égard de celle qui a trahi les siens." et Témoignage chrétien parlera de "justice de classe" dans son numéro du 17 février 1950 (Légé et Tanter, op. cité). Le journal de l'Aube verra quant à lui le jugement du tribunal une réaction en vue d'une perspective de conventions collectives, et de la grève du personnel des usines de filatures Bessonneau, soutenue par Christine Brisset, qui avait même organisé la prise en pension bénévole des enfants d'ouvriers grévistes, par un appel intitulé : "Il est impossible à un ménage de vivre avec 280 francs [anciens francs, NDR] par jour" : Le MRP (Mouvement Républicain Populaire) local, d'obédience démocrate chrétienne, n'avait pas soutenu ce mouvement.
A partir de 1950, elle initiera le mouvement Castor, proposant l'auto-construction comme alternative au squattage, qui sera animé en majorité par des anciens militants de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et des leaders squatters issus du MPF (Mouvement Populaire des Familles), appartenant à la mouvance des chrétiens de gauche anticléricaux. Par ailleurs, "Christine a une pratique non discriminatoire, même à l'égard des délinquants mineurs et des repris de justice. L'aide qu'elle apporte à certains d'entre eux pour réintégrer la vie sociale donne d'ailleurs argument à ses détracteurs pour assimiler son Christine mouvement ». à une pègre, «la pègre de Christine. (...) elle met aussi en cause la cohabitation forcée des jeunes ménages avec leurs parents ou avec d'autres familles, destructrice du « bonheur à deux » : «" (Légé et Tanter, op. cité).
Très intéressante est la période à partir de laquelle, en 1951, Christine crée sa société HLM et construit vite et bien des pavillons en accession à la propriété. En effet, Christine Brisset tourne le dos à la logique marchande, à toutes sortes de discriminations économiques : apports personnels, revenus des candidats à l'accession, etc., organisant son action non pas en fonction d'une idéologie, mais en optimisant les les moyens en vue du plus grand succès possible des candidats. C'est une de ces formidables leçons politiques de l'histoire sociale qui montre que la réalisation du bien-être commun ne peut se penser qu'en assujettissant la politique et l'économie à ce but, ce qui est exactement l'opposé du libéralisme, du capitalisme, et de tous les systèmes de domination qui les ont précédé et qui ont toujours engendrés des pauvres et des riches. En conséquence, ce sont plus des critères humains que développe Christine que des contraintes économiques : " «Le candidat-constructeur doit avoir une bonne santé, du courage, de la bonne volonté, un esprit total de solidarité, de la ténacité et une place stable, autant que possible. » La stabilité de l'emploi est la dernière des conditions énumérées et, de surcroît, sans une insistance exagérée ! L'absence d'apport personnel ne constitue pas non plus un obstacle : l'organisation de la solidarité comme principe de gestion représente précisément le moyen d'exercer une non-discrimination sociale qui, dans les faits, ne s'applique ni dans un sens ni dans l'autre — il y a beaucoup d'employés, de petits cadres ou de fonctionnaires parmi les castors." (Légé et Tanter, op. cité). Et ça marche ! Avec de faibles frais de gestion, des coûts de réalisation maîtrisés, d'absence d'intermédiaire, et même, d'architecte, avec les allocations-logement, "les familles les plus humbles peuvent, avec Christine, accéder à la propriété." (op. cité). D'autres mesures solidaires complètent ce dispositif, et ce n'est pas un hasard si elles s'avèrent encore anticapitalistes : caisse de solidarité de chantier, interdiction de réaliser une plus-value en cas de cession de logement, droit de regard sur le successeur, par exemple. Notre héroïne créera en 1953 un secteur de location simple avec des loyers très bas, "destiné aux personnes âgées menacées d'expulsion et incapables de contracter des emprunts à long terme, aux jeunes célibataires, aux femmes seules, etc. 321 logements seront construits de la sorte entre 1953 et 1962." (op. cité). Ne se préoccupant pas seulement (et c'est déjà beaucoup à l'époque) de fournir un toit à des gens, Christine pense la sociabilisation dans sa globalité, en intégrant à ses ensembles différents lieux culturels, sociaux, voire religieux, comme dans les cités de la Monnaie ou des Roncières, aux Ponts-de-Cé (Maine et Loire). D'autres programmes intègrent des logements médicaux, un commerce, et même, en avance sur les politiques sociales, deux résidences pour personnes âgées.
"En 1954, la société des Castors angevins est la plus grande consommatrice de financements Logécos au niveau national ! Après tout juste quatre années d'activité, elle parvient industrialisation, presque à une standardisation, Cette standardisation presque n'exclut à une toutefois pas la conservation du label «Castor», c'est-à-dire de la garantie de solidité des constructions qui avait fait la fierté des pionniers (soubassements en granit, parpaings isothermes, toit d'ardoise, gouttière posée sur une acrotère en ciment...). Alors que la société fonctionne avec une structure extrêmement légère (quelques personnes installées dans un baraquement), elle a, dès 1953, construit plus (500 logements achevés ou en voie de l'être) que l'Office municipal d'HLM, créé en 1929, qui n'a produit que 86 logements depuis la guerre (...) Installée dans un baraquement avec le strict minimum, elle ne mesurait pas son temps (travaillant quinze heures par jour) et se contentait d'un salaire dérisoire, d'ailleurs directement reversé au service social des castors. Elle parvenait ainsi à construire mieux et à meilleur prix que toutes les autres sociétés. Cela était insupportable à tous ceux qui, tirés par cette «locomotive», avaient voulu se lancer dans la construction (sans avoir les mêmes motivations), mais ne parvenaient pas à rivaliser avec elle, voire à assurer une saine gestion.. (Légé et Tanter, op. cité)
Dans un système de rentabilité et de profit, la réussite de Christine ne pouvait que pousser bien des gens à vouloir sa perte. De 1961 à 1964, une longue procédure judiciaire, assorti de bien des vexations, de manœuvres criminelles, se met en place dans ce but, après son refus d'accepter la Légion d'honneur en plus d'une rente pour se retirer des affaires, avec menace de correctionnelle. Elle est condamnée honteusement par la justice en 1964 à un an de prison pour gestion frauduleuse, malgré le soutien de très nombreuses personnes, tant chez les citoyens de base, qu'au niveau politique, qui savent que c'est une machination, probablement de la bourgeoisie la plus réactionnaire d'Angers. Christine Brisset sera réhabilitée au tout début des années 1970, mais l'organisation des Castors angevins ne s'en remettra pas, ayant aussi contre elle des mesures législatives adoptées à partir de 1965 "qui aboutirent au démantèlement du système de la coopération en matière de logement social. Le décret du 22 novembre 1965, qui contraignait les coopératives HLM à se spécialiser, soit dans l'accession (location-attribution), soit dans la location-coopérative (location avec apport personnel) ôtait de leurs compétences la location simple et organisait le transfert de leur patrimoine locatif et d'une partie de leurs réserves à des sociétés anonymes" (Légé et Tanter, op. cité).
Capitalisme encore, capitalisme, toujours, que la loi même, d'année en année, structure contre toutes les tentatives de construire une société plus solidaire, plus généreuse, contre le règne de l'argent. Il ne faut pas oublier non plus l'égoïsme des deux milliers de familles qu'elle avait en partie sauvé de la pauvreté, certains castors étant passés du côté de l'accusation, trouvant trop contraignants ses statuts qui retardaient le gain qu'ils pouvaient obtenir de la revente de leur maison. Là encore, se pose la question insoluble de la condition humaine, certes modelée profondément par son environnement, mais peut-être, possédant dans sa nature même, les germes de tous les égoïsmes.
L'abbé Pierre est mondialement célèbre, Christine Brisset n'était plus que le nom d'un petit square à Angers, mais les choses changent doucement. Le film de Marie-Josée Jaubert ("On l'appelait Christine", 2004, CNRS) et la bande dessinée de Chantal Montellier ont contribué à honorer sa vie et son oeuvre. L'exemple de Christine Brisset est d'autant plus emblématique qu'à l'époque, si le travail des femmes se développe, cette émancipation, et ce jusqu'aujourd'hui, en 2021, et lente et chaotique : à qualifications, rémunérations et perspectives moindres que celles des hommes, s'ajoutent de nombreux freins politiques et sociaux, qui maintiennent les femmes dans des divisions sexuelles de tâches ( "genrées", si on veut être à la page). Beaucoup de femmes renoncent encore à des salaires parce qu'ils ne compensent pas les frais de garde des enfants, et, celles qui travaillent affrontent "la double journée des mères de famille". L'Etat d'après-guerre n'a pas tiré toutes les leçons du vichysme, loin de là et, par différentes dispositions maintiennent beaucoup de femmes dans le carcan de la famille patriarcale. Ainsi, l'ASU, l'Allocation de Salaire Unique, entre 1945 et 1978, "subordonne l'aide aux familles à l’inactivité des mères et établit la progressivité des prestations sociales à partir du deuxième enfant." (Rist, 2004). De Vichy, aussi, de ses 'textes centralisateurs et dirigistes" édictés sous ce régime, l'urbanisme s'inspire pour "façonner une population saine, morale et productive" du pays (Xavier de Jarcy, Les Abandonnés, Histoire des « cités de banlieue », Albin Michel, 2019).
L'Insoumise,
Bande dessinée de
Chantal Montellier
et
Marie-José Jaubert,
2012,
Christine Brisset,
1898-1993
« les enfants du bonheur »
Il faut attendre les années 1960 et 1970 pour voir se construire massivement des logements sociaux de type HLM (Habitation à Loyer Modéré) qui prennent le relais des HBM (Habitation à Bon Marché) en 1950, qu'on appelait "grands ensembles". Les Zones à Urbaniser en Priorité (ZUP) sont initiées par décret en décembre 1958, et sortent de terre de vastes ensembles comme la fameuse cité des 4000 (pour 4000 logements) à La Courneuve Pour l'Office de HLM de Saint-Denis, par exemple, deux phases intenses de mises en location ont eu lieu entre 1961-1963 et 1971-1974 (David, 2002), et déjà, la situation économique générale du pays avait commencé de se dégrader. En 1971, un article du journal Le Monde, s'interrogeant sur la capacité du gouvernement à faire disparaître les taudis, se demandait : "Aurons-nous toujours des bidonvilles ?". C'est qu'un certain nombre de causes économiques, politiques ou sociologiques pouvaient déjà laisser penser que l'habitat précaire ne disparaîtrait pas (Blanc-Chaléard, 2016).
Différents points noirs entacheront l'action de l'Office HBM/HLM, à une époque où la rareté du logement social a eu pour effet de détourner l'organisme de leur mission originelle. Gilbert Mathieu écrira une suite d'articles explosifs dans le journal Le Monde, entre le 11 et 19 avril 1957, intitulés "Logement, notre honte...", pour dénoncer cet état de fait : "Les HLM louées depuis la guerre l'ont été non pas de préférence aux familles de ressources modestes, comme voudrait la loi, mais exactement à l'inverse" affirmera le journaliste (Légé et Tanter, 1987).
Cédric David est un des rares chercheurs à avoir accédé à la masse de dossiers de locataires HLM du département, ce qui lui a permis de montrer les différentes pratiques de discrimination de l'Office. Ainsi, à partir de 1965, "l’Office commence en effet à enregistrer le lieu de naissance des locataires et des catégories comme « N.Afri » ou « Afri. » apparaissent dans les statistiques internes. On peut penser que le contexte national et local joue à plein avec une municipalité communiste qui commence à réaliser que la désindustrialisation est irréversible. Celle-ci miserait alors sur une « diversification » de sa population, souhaitant attirer une petite classe moyenne notamment en centre-ville et écarter une population post-coloniale qui incarne alors, dans l’imaginaire collectif, les bidonvilles." (Vulbeau, op. cité). Sociologues et historiens montrent que se forgent alors chez les responsables politiques l'idée d'un 'seuil, de tolérance" généralement fixé à 15 % de population étrangère, au-delà duquel "la cohabitation entre Français et étrangers devenait impossible." (Vulbeau, op. cité). S'opère alors, même si le nombre d'étrangers dépassent le seuil fixé dès les années 1970, un tiraillement entre logiques discriminatoires, sécuritaires et pratiques solidaires. Par la suite, sur fond de dégradation économique, les logiques d'exclusion se renforceront à mesure où les locataires se paupériseront et où les impayés se multiplieront.
« Ils quittent un à un le pays, pour s'en aller gagner leur vie,
loin du pays où ils sont nés... »
Jean Ferrat, La Montagne, 1967
Les "zones", ou encore ce qu'on appellera ensuite des bidonvilles dans les années 60/70, habités en majorité par des immigrés maghrébins, sont une partie de la face cachée des Trente Glorieuses, combinant habitat insalubre et immigration, en périphérie des grandes villes : Paris, Lyon, Marseille, en particulier qui, pour un certain nombre existaient déjà bien avant la guerre 39-45 :
Eugène Atget
(1857-1927),
Album Zonier,
1899-1913,
Paris, Porte d'Italie,
BNF
bidonville 175
Lyon, années 1950
bidonville du camp Colgate,
Marseille, 1964
En 1975, Colette Pétonnet écrivait une analyse ethnologique de ces populations très pauvres vivant dans des poches de misère, en périphérie des villes, principalement en banlieue parisienne (On est tous dans le brouillard, Editions Galilée, 1979) , après avoir décrit la vie des immigrés dans un bidonville avant leur dispersion dans des structures nouvelles d'habitation, "cités de transit" (cf. Ces gens-là, Maspero, 1968), mais aussi foyers d'hébergement, parfois en dur, mais souvent en préfabriqué léger gérés le plus souvent par la Sonacotral (Société Nationale de Construction pour les Travailleurs Algériens, 1956), qui deviendra Sonacotra en 1963, et la Cetrafa (Centres de transit familiaux), créée à la veille de l'indépendance algérienne, en 1961. Et ne parlons pas de tous les pis-aller auxquels de nombreux étrangers, en particulier, ont recours, avec tous les abus, les extorsions, les contrôles (Algériens ciblés en particulier : la guerre n'est pas finie), les vexations, les stigmatisations qu'ils peuvent comporter : "A la fin des années 1960, les conditions de logement des immigrés sont encore bien mauvaises. Très peu de réalisations concernent les familles, un ménage sur cinq vit dans des logements de fortune ou à caractère provisoire. Certaines nationalités sont particulièrement défavorisées : parmi les Algériens, 32 % vivent en hôtel meublé ou en garni, 8,5 % dans des bidonvilles ; 12 % des Portugais vivent en hôtel ou en garni, et près de 10 % en bidonville. Quant aux Africains d’Afrique sub-saharienne, 35 % d’entre eux vivent dans des foyers ou en meublé." (Lévy-Vroelant, 2006).
foyers : 180.960 lits en 1968, 264. 800 en 1975, et encore 203.920 en 1982 et 151.000 en 1999 ! (op. cité).
Le premier ministre Jacques Chaban-Delmas, inaugurant en grande pompe le 29 juin 1971 la cité Gutenberg à Nanterre, était passé au journal télévisé du soir et "avait alors évoqué « le plus beau jour de ma vie » en accompagnant les cent trente familles dans leurs nouveaux baraquements flambants neufs, la cité était censée participer de sa « nouvelle société »" (Abdallah, 2006).
* Propos de Jacques Chaban Delmas à Nanterre
À Nanterre, le long chemin pour sortir des bidonvilles | L'Humanité (humanite.fr)
Il y a presque toujours un abîme entre les propos lénifiants des pouvoirs politiques et la réalité. Tout d'abord, les textes légiférant sur les cités de transit emploient encore un vocabulaire qui, "dans sa bienveillance même, relève de la gestion coloniale".(Abdallah, op. cité), parlant d'"aptitude", de "capacité' des familles à "évoluer", prévoyant dans ce but un programme d'action socio-éducative (Circulaire du 19 avril 1972 relative aux cités de transit, publiée au J.O. du 20 juillet 1972). Les habitants de ces parcs de transition sont souvent considérés comme des "asociaux", des "inadaptés", ou encore, des "déchets" mis au rebut, vivant dans des "dépotoirs" (Cohen et David, 2012 ; Brodiez-Dolino, 2019)
D'autre part, l'histoire montre que ces logements qui devaient être provisoires (deux ans maximum) ont contraint les habitants à vivre de très longues années dans des appartements qui se sont rapidement et sévèrement dégradés : "Les cités de transit se « bidonvillisent » : un entretien défaillant, de la boue partout, pas d’écoulement des eaux, des murs éventrés, des incendies à répétition. Les enfants qui grandissent là deviennent la cible d’un contrôle policier constant, et beaucoup seront expulsés de France à la fin des années soixante-dix." (Abdallah, op. cité). Ce sont des habitants sans droit, qui paient une redevance qui est dans la réalité un loyer mensuel, mais qui n'ont ni de statut de locataire ni "de droit au maintien dans les lieux" (Circulaire du 19 avril 1972). De cette situation, la gauche, tout particulièrement les responsables communistes des "banlieues rouges" gérées par le PCF, n'ont pas de quoi être fiers, nous l'avons déjà évoqué. Prenant l'exemple de Gennevilliers et s'appuyant sur le long et passionnant travail d'enquête d'Olivier Masclet (10 ans !), Choukri Hmed déclare que "si cette dernière, gérée par le PCF depuis les années 1930, a réellement contribué à ennoblir, par un long travail politique de mobilisation et de réhabilitation urbaine, la classe ouvrière « française », elle n’a pas su reconnaître ses héritiers immigrés, électeurs ou militants, ni renouveler leur rapport à la politique. Après avoir assisté avec complaisance à la dégradation du logement destiné à ces nouvelles populations dans la ville des années 1950 — avec la multiplication des bidonvilles, puis des foyers et des cités de transit dans lesquels s’entassent les célibataires et les familles immigrés —, la mairie administre directement par la suite les offices HLM de la ville, en se livrant cette fois à une ségrégation fine, par quartier voire par immeuble (une cartographie chronologique de la ville aurait peut-être permis de mieux visualiser cette stratégie). C’est la naissance des « banlieues », comme il est donné à chacun de se les représenter." (Hmed, 2003). Il faut ajouter à cela la présence permanente et l'action coercitive du gérant de la cité : "Le personnage le plus présent dans le quotidien des résidents de cités de transit reste cependant le gérant, dont le rôle est de collecter les loyers, de veiller à l’entretien des parties communes et de prévenir les conflits de voisinage. Il contrôle les allées et venues, menace d’expulsion les mauvais payeurs et surveille étroitement les habitants. Comme pour les foyers, ces gérants sont recrutés parmi d’anciens officiers des Affaires algériennes, et ce jusqu’aux années 1980 (Hmed 2006)" (Cohen et David, 2012). Dans le port de Gennevilliers, les conditions de vie sont déplorables, les écoles dignes de pays sous-développés, et les cités sont des lieux sordides, coupés de tout, de véritables ghettos, avec certains gérants "ouvertement racistes et violents" témoignera Alain Bourgarel, qui y a été pendant vingt ans instituteur . A quatorze ans, le plus souvent sans savoir lire, "les élèves allaient dans l’usine d’à côté" (Bourgarel, 2016a ; 2016b). Rappelons que la dernière cité de transit du port de Gennevilliers, la "51", ne sera démantelée qu'en... 1986 ! Malgré tous ces malheurs, de nombreux témoignages évoquent cette période avec une relative nostalgie, où les liens sociaux, l'entraide, était très forte dans les communautés. D'autres expériences humaines pointent du doigt l'impuissance de notre système de société à prendre en compte l'individu dans la globalité de ses besoins. Ainsi, les exemples ne manquent pas de témoignages de femmes et d'hommes accablés par la destruction de leur immeuble vétuste et de nombreux élus "rénovateurs" furent battus aux élections locales : "La résistance de la population attachée, sinon à ses locaux insalubres, du moins à leur quartier comme à la vie sociale correspondante, se manifesta dans des luttes urbaines. Certains chercheurs la définirent comme « une intervention de l’appareil d’Etat sur la structure urbaine, visant à changer l’occupation d’un espace déjà constitué, ses fonctions et/ou son contenu social ». Le ministère constata en 1964 que « cette politique atteint doublement la population des vieux quartiers dans leurs conditions d’habitation d’une part, dans leurs emplois d’autre part »." (Piron, 2015. cf. . Coing, 1966 ; Godard et all., 1973). Plus d'un chercheur pointe du doigt la distance entre cette politique et les principes d'égalité issus de la révolution française, et travaillés par le Conseil National de la Résistance : "tel bâtiment pour les jeunes ménages ouvriers, tel autre pour les fonctionnaires, un foyer pour les immigrés, un quartier pour les cadres, une résidence pour les étudiants, etc. Une conception utilitariste de la cité, une technocratie férue de normalisation, la fascination pour le gigantisme industriel, la guerre permanente du gouvernement contre les organismes d'HLM au profit de la construction privée, une inflation foncière effrénée et une corruption diffuse ont fait le reste. Le résultat, c'est qu'avec l'argent public, on n'a pas bâti des villes, mais fabriqué de médiocres produits immobiliers amortissables à court terme." (Xavier de Jarcy, Les Abandonnés, Histoire des « cités de banlieue », Albin Michel, 2019).
Enfin, les sociologues des années 1960-1970 (Pétonnet 1968 ; Liscia 1977 ; Tricart 1977 ; Pialoux et Théret 1979-1980) avaient pointé du doigt les cités de transit comme lieux de production d'un nouveau prolétariat et de domination sociale, mais avaient laissé "dans l’ombre le contexte de décolonisation, qui a pourtant pesé lourdement sur la suite de l’histoire des cités de transit, notamment en accusant leur caractère contradictoire : entre dispositif d’urgence et pérennisation du provisoire, entre action sociale et contrôle policier, entre ségrégation spatiale et intentions d’assimilation." (Cohen et David, 2012). A la même période, dans l'Algérie coloniale, l'architecte algérois Roland Simounet dessinait en 1956 une des "cités de recasement" d'Alger pour les habitants des bidonvilles, "300 logements, sans eau ni installation sanitaire, de la cité Djenan-el-Hassan" (Cohen et David, op. cité). A Nanterre, les immeubles sociaux de transition (IST) de la Cité des Marguerites compteront "260 logements au confort spartiate (un seul point d’eau, pas de chauffage central)" (op. cité).
Cité Blanche,
cité de transit Gutenberg,
Nanterre,
années 1960
Bande dessinée
"Demain, demain,
Gennevilliers Cité de
transit [51] 1973"
Laurent Maffre, 2012
Pendant les Trente Glorieuses, les travailleurs immigrés n'ont pas seulement pâti de conditions de logement déplorables, mais aussi de conditions de travail peu enviables. La reconstruction très importante du pays après la guerre ne pouvait absolument pas se faire sans l'apport de main d'œuvre étrangère ouvrière dans le secteur industriel. De 6,5 millions en 1950, les ouvriers seront 8.5 millions dans les années 1970, soit 38.5 % des actifs. Des paysans quittent la campagne pour les périphéries urbaines, on fait appel à l'immigration d'Europe du Sud et des colonies françaises (Portugal, Algérie, Maroc, Indochine, surtout), qui perçoivent en moyenne des salaires ouvriers les moins élevés. La dynamique du plan Marshall a renforcé la rationalisation de la productivité et, sinon la conversion, opérée depuis un moment déjà, une systématisation du taylorisme, et surtout, du fordisme, tout particulièrement dans l'industrie automobile "Entre 1950 et la fin de 1953 300 missions, représentant 2700 personnes, ont ainsi visité, pendant une durée moyenne de six semaines, les usines, magasins, universités et centres de recherches représentatifs du modèle industriel américain." (Moutet, 1998). L'automatisation grandissante des lignes de production ont modifié la composition du personnel des ateliers, qui a fini de se composer très majoritairement d'ouvriers spécialisés (OS), plus de 75 % des effectifs, qui se plaignaient de plus en plus de l'aggravation des conditions de travail issues des méthodes fordiennes. Il y avait de plus en plus de négligence, d'absentéisme, de turn-over (de 25 à 50 % !), tant la pénibilité du travail ne parvenait plus à compenser les augmentations de salaires : Rappelons que le SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) est créé en 1950 et que de grands constructeurs, Renault en tête, avaient instauré, depuis 1955, "une négociation quasi annuelle des conditions de travail et de rémunérations" (Moutet, op. cité). Les grèves se multiplieront, jusqu'à la paralysie du pays en 1968 (voir grève des mineurs de 1947-1948), dont le mouvement cumulera autant de malaise social que culturel. Le recours massif au travail immigré sera alors une des (mauvaises) solutions apportées par les gouvernements.
La période des Trente Glorieuses n'est pas encore terminée que le thème de l'exclusion fait son entrée dans le débat public, au début des années 1970, l'ouvrage le plus emblématique sur le sujet étant sans doute celui de René Lenoir, secrétaire d'Etat à l'action sociale : LES EXCLUS, Un Français sur dix (Le Seuil, 1974), autant de personnes qui seraient touchées par une "inadaptation sociale", des gens vivant en marge de la société, déracinés, déconnectés du parcours normatif de la majorité des citoyens, que l'auteur estime à 10 % de la population, pire, un sur cinq si on compte la débilité physique ou mentale : Là encore, nous parlons de millions, voire de dizaines de millions de personnes : L'auteur estime à 15 millions le nombre de personnes qui "vivent encore dans les zones de pauvreté et de dénuement." (R. Lenoir, op. cité : 28). Mais le livre du haut-fonctionnaire n'est pas, loin de là, exempt de défaut. Faisant l'impasse sur les conditions socio-économiques des "inadaptés" sociaux, l'auteur englobe les populations fragiles dans une vague catégorie médico-judicaire, criminologique, qui rappelle les très nombreux propos moralisateurs des libéraux, nous l'avons vu, sur la misère sociale, et qui ouvrent une porte, jusqu'aujourd'hui (ces lignes sont écrites au moment même où Eric Zemmour se déclare candidat à la présidentielle française de 2022), aux idéologies de droite, sécuritaires, victimistes, qui évacuent les causes profondes de la misère sociale. Ainsi, il craint que "l'Autre France" ne submerge le pays, invoquant la solution de la répression policière si "la lèpre" ou "la grangrène" venait à s'étendre. On parle ici des mêmes victimes de maux sociaux dont il est question depuis le XIXe siècle : marginaux, enfants fugueurs, mères célibataires, prostituées, etc., et beaucoup moins des chômeurs, des habitants de logement insalubre, des pauvres immigrés, etc. Hors quelques mesurettes, c'est à un sursaut moral (encore et toujours) qu'il appelle, pour retrouver "le sens de la convivialité", "un sourire derrière chaque guichet, "un jardin devant votre porte", etc.
Dans un numéro spécial du Droit social, différentes personnalités politiques emboîteront le pas de Lenoir, comme Jacques Attali, alors conseiller du parti socialiste, dont on appréciera la tirade démagogique (nous nous pencherons en temps voulu sur l'ensemble de son parcours) : "Tous exclus. C'est le plus terrible constat sur la société d'aujourd'hui" (Jacques Attali, Revue Droit social, n°11, novembre 1974, numéro spécial dirigé par Jean-Michel Belorgey : L’exclusion sociale) : 29). Ou encore : "l'homme fabrique les instruments de sa propre exclusion : les immenses machines dont il devient l'esclave, les immenses villes dont il est le serviteur, la médecine dont il attend servilement la survie, une innovation désordonnée qui exacerbe sa consommation d'énergie, une anthropophagie suicidaire qui l'exclut de la pensée et de la création". C'est l'habituel gloubi-boulga libéral dont Attali est un éminent représentant qui met dans le même sac le capitaliste qui achète des machines, les ouvriers qui la subissent, et l'ensemble des hommes qui finissent de pâtir des conséquences des actions des dominants, un camp auquel ne cessera jamais d'appartenir Jacques Attali lui-même.
On voit donc, ainsi, toutes sortes de cuistres imbus de leur culture et de leur position sociale statuer sur la situation de la pauvreté avec un humanisme bon teint, distillé de références morales, culturelles ou chrétiennes. Gilbert Mury, par exemple, évite de parler du combat politique des pionnières sociales et préfère leur accorder "un grand cœur" (op. cité : 163). Jacques Delors, quant à lui, pense que "... cette lutte ne peut avoir de fin. Même dans la meilleure des sociétés, il se renouvellera toujours des formes de marginalité ou d'inégalité; ne serait-ce qu'en raison de la nature foncière de l'homme. Il n'est, en effet, au pouvoir de personne de transformer radicalement l'homme de telle sorte qu'il renonce à tout jamais à la violence, à l'agressivité, à la non-communication ou bien encore au souci de se distinguer des autres." (op. cité : 191). René Lenoir, dans son livre, disait en substance la même chose : "« ... il subsistera toujours, dans la société, des enfants ou des adultes perturbés ou inadaptés" (Les exclus, op. cité : 102). Les libéraux, néo au pas, n'ont cure de rechercher les causes sociales de la pauvreté. Il ou elle décrète péremptoirement le degré de responsabilité personnelle de l'individu, qui conditionne la société appelée de leurs vœux, qui "devra constamment rappeler à chaque homme et à chaque femme, qu'au-delà des possibilités qu'elle leur offre, demeurent intangibles, la part de l'aventure personnelle, le face-à-face avec soi-même, la mise en jeu de sa propre responsabilité. Autrement dit, le bonheur comme le malheur ne sont pas qu'une affaire de société" (Jacques Delors, Droit social, op. cité : 194). C'est un truisme qu'énonce là le futur ministre de l'Economie, mais qui ne dévoile pas l'importance, pour celui qui le prononce, du rôle de la société et de l'Etat dans l'accomplissement du bien commun. On la comprendra mieux quand on se penchera sur les idées très libérales du personnage.
La plupart des contributions de ce numéro du Droit social proposent des solutions forcément très libérales, d'ailleurs, pour lutter contre la pauvreté. Celle qui a sans doute fait le plus parler d'elle est celle qui se fonde sur la théorie de l'impôt négatif, proposé par Milton Friedman dans son ouvrage Capitalisme et Liberté (1962) et développée semble-t-il pour la première fois en France par les deux conseillers, de Valéry Giscard d'Estaing (à compter de 1969) Christian Stoffaës et Lionel Stoleru, contributeurs, eux aussi de ce numéro spécial. Comme d'autres libéraux, ils pensent qu'il faut trouver des solutions comportant "moins d'incitations à la paresse" (on appellera ça ensuite la "désincitation au travail"), en calculant un "taux modérateur d'oisiveté" pour que l'impôt négatif ne se transforme pas en prime aux feignants qui ne voulaient rien faire. Jacques Delors est sur la même longueur d'onde : " Il est vrai que lorsque les règles d'indemnisation du chômage sont très améliorées, l'oisiveté se trouve encouragée".
Dans son cours au Collège de France, Michel Foucault, analysant les bases du néolibéralisme, a montré comment l'impôt négatif était le fruit d'une idéologie de gouvernement qui ne croit plus au plein-emploi. L'impôt négatif tourne le dos à la solidarité redistributive établie après la guerre. Le néolibéralisme sépare les pauvres des non-pauvres par un seuil au-delà duquel " on va laisser jouer les mécanismes économiques du jeu, les mécanismes de la concurrence, les mécanismes de l’entreprise. (…) Chacun devra être pour lui-même ou pour sa famille une entreprise ». Sous le seuil, et à sa lisière, se trouve « une espèce de population flottante (…) qui constituera, pour une économie qui a justement renoncé à l’objectif du plein-emploi, une perpétuelle réserve de main-d’œuvre". La béquille de l'assistanat libéral "laisse aux gens la possibilité de travailler s’ils veulent" et "se donne la possibilité de ne pas les faire travailler, si on n’a pas intérêt à les faire travailler" (Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Gallimard-Seuil, coll. « Hautes Etudes », Paris, 2004).
La colonisation,
« fardeau de l'homme noir »
Introduction
Depuis la parution, en 1960, de L’impérialisme colonial français d’avant 1914, de l'historien Henri Brunschwig (1904-1989), qui avait osé remettre en cause l'importance du profit économique dans le développement de la colonisation française, suscitant nombre de travaux en réaction à cette thèse, en particulier ceux de l’historien Charles-André Julien, de l’économiste Samir Amin, de l’anthropologue Claude Meillassoux, du sociologue George Balandier ou encore du géographe Jean Suret-Canale (Huillery, 2008), mais aussi des ouvrages confortant les idées de Brunschwig de générosité du pouvoir français à l'égard de ses colonies (en particulier ceux des hauts fonctionnaires comme François Bloch-Lainé ou Jean-Marcel Jeanneney). En 1971, l'historien Paul Bairoch, dans un ouvrage coécrit avec Jacques Marseille, affirmait que "les bénéfices retirés par Occident de cette aventure coloniale ont été très faibles et sans commune mesure avec les dommages elle occasionnés" (Bairoch, 1988). En 1984, Jacques Marseille ira plus loin encore et publiait un livre qui allait bousculait les idées, qu'on croyait reçues, sur l'importance de la rente coloniale dans l'enrichissement de la France sous le titre : Empire colonial et capitalisme français. Histoire d'un divorce, Paris, Albin Michel, collection "L'aventure humaine"). Le chercheur récidivait sur le fait que la colonisation n'avait, au total, pas profité au développement du capitalisme français mais avait bien été plutôt ce "boulet" dont la France s'était débarrassé avec profit. On a ici et là encensé l'auteur pour ses thèses et une partie conséquente de chercheurs (qualifiée parfois d'"anti-repentance") a affirmé, en substance, haut et fort, qu'elles refermaient le débat une fois pour toutes et, partant, le caquet des "Repentants", en témoigne en particulier l'ouvrage de Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion, 2006). Lefeuvre avait particulièrement dans son viseur l'ouvrage de l'historien Marc Ferro, paru trois ans avant, le Livre noir du colonialisme, XVIe-XXIe siècle : de l'extermination à la repentance : "Loin de remplir les caisses de l’Etat, les colonies se sont révélées un véritable tonneau des Danaïdes. De 1900 à 1962, le solde commercial des colonies avec la métropole n'a été excédentaire qu'une année sur trois, notamment lors des deux guerres mondiales. Les deux tiers du temps, les colonies vivent à découvert, parce qu’un tuteur généreux, l’Etat français, assure leurs fins de mois. Pour l’essentiel, en effet, c’est à coups de subventions et de prêts accordés par le trésor public que les colonies bouclent leurs budgets" (Lefeuvre, op. cité).
Fort des thèses anti-repentances, le président français Nicolas Sarkozy s'autorisait à affronter les contradictions du débat à Dakar, le 26 juillet 2007 : "Je ne suis pas venu vous parler de repentance. (…) Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenait pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail. Il a pris mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir." Ce bénéfice colonial, le dirigeant français l'avait déjà évoqué quelques mois plutôt, en mars 2007 dans la ville de Caen : "La République s’est toujours battue depuis deux cents ans pour la liberté, l’égalité et la fraternité de tous les hommes. (…) Le mode de la repentance est une mode exécrable. Je n'accepte pas que l'on demande aux fils d'expier les fautes des pères, surtout quand ils ne les ont pas commises. Je n’accepte pas que l’on juge toujours le passé avec les préjugés du présent. Je n’accepte pas cette bonne conscience moralisatrice qui réécrit l’histoire dans le seul but de mettre la nation en accusation. (…) La vérité c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. On peut condamner le principe du système colonial et avoir l’honnêteté de reconnaître cela" ; ou encore, au tout début de la même année, le 7 février, à Toulon : "« … la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs. Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant eux n’avait cultivé. Beaucoup ne partirent que pour soigner, pour enseigner. On peut désapprouver la colonisation avec les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui. Mais on doit respecter les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont pensé œuvrer utilement pour un idéal de civilisation auquel ils croyaient".
Si la masse de données économiques complexes utilisée par Jacques Marseille met en difficulté le non-initié d'obtenir une conviction assurée sur le sujet, elle ne trompe pas toujours les historiens au fait de la question économique. Pierre Sorlin évoque "les faiblesses" de sa source principale de travail le Tableau général du Commerce et de la Navigation, admises par l'auteur lui-même (Sorlin, 1985). D'autres encore, comme l'économiste Philippe Norel, reconnaissant comme d'autres auteurs un travail "riche d'enseignements", critique, à l'endroit de sa problématique, la récusation des "historiens marxistes actuels capables de la contrarier" (Ph. Norel, Une page d’histoire du capitalisme français — Les colonies furent-elles rentables… et pour qui ?, Le Monde diplomatique, juillet 1985 : 22). Mais la chercheuse Élise Huillery ira encore plus loin et, en sapant le socle pseudo-scientifique de l'ouvrage de Marseille, qui faisait encore autorité au moment où elle écrivait sa thèse critique (cf. Huillery, 2008), et pourra alors réaffirmer avec assurance : "La France a été le fardeau de l'homme noir, et non l'inverse." (E. Huillery, interview du journal Le Monde, 26 mai 2014).
Etudiant les budgets coloniaux et métropolitains, Huillery montre que seule une part infime des recettes fiscales de la métropole, soit 0,29 %, "ont été affectées à ces colonies, dont les quatre cinquièmes sont en réalité le coût de la conquête militaire" (Huillery, interview...op. cité). Des chiffres encore plus infinitésimaux concernent les dépenses fiscales métropolitaines d'investissement dans les biens publics (0,05 %), qui "n'a couvert que 2 % du coût des investissements publics locaux : les chemins de fer, les routes, les écoles ou les hôpitaux ont été financés à 98 % par les taxes locales" (op. cité). De plus, ces taxes, jusqu'à une réforme du système en 1956, ont permis d'entretenir les dirigeants coloniaux : "les 8 gouverneurs et 120 administrateurs de cercle absorbaient à eux seuls 13 % des budgets locaux !" (op. cité). Dans sa thèse, la chercheuse rappelle aussi que "le fait même que les colonies aient été utilisées comme débouchés pour les produits métropolitains est incontestable. Pour certains produits comme les vêtements et lingerie, les huiles d’arachide, les sucres raffinés, les tissus de coton ou encore les savons, la part de l’empire dans les exportations françaises était supérieure à 80% en 1958, alors même qu’elle ne dépassait pas 35% en 1890" (Huillery, 2008). L'autrice est loin d'être la première, nous l'avons vu, à pointer du doigt le pillage des ressources des colonies. Elle rappelle les travaux importants d’Emmanuel Arghiri (en particulier, L’échange inégal, Essai sur les antagonismes dans les rapports économiques internationaux, Paris, Editions François Maspero, 1969) et de Samir Amin (en particulier, L’échange inégal et la loi de la valeur, Paris, Editions Anthropos, 1973). Ce dernier affirmera que le système colonial "repose sur l’échange inégal, c’est-à-dire l’échange de produits manufacturés, vendus très cher aux colonies par des monopoles commerciaux soutenus par l’État contre l’achat de produits ou de matières premières très bon marché, car fondées sur un travail quasiment gratuit fourni par les paysans et ouvriers situés à la périphérie. À toutes les époques, le pillage des ressources des périphéries, l’oppression des peuples colonisés, leur exploitation directe ou indirecte par le capital, restent des traits communs du phénomène colonial" (S. Amin, "«Le colonialisme et le capitalisme sont inséparables »", article du journal L'Humanité, 14 décembre 2005). Si Jacques Marseille pouvait affirmer "que les produits que la France importait en provenance de son empire n’étaient ni rares ni vendus à des prix inférieurs aux cours mondiaux" (Huillery, 2008), c'est en tordant le cou à la chronologie des faits, "le système de prix garantis par l’Etat français a été instauré très tardivement (il est inauguré en 1952) et que les exemples pris par les auteurs réfèrent bien évidemment à cette unique période sans avertir le lecteur de sa particularité." (op. cité). A cela, il faut ajouter que les fournisseurs étrangers ont subi la concurrence des fournisseurs coloniaux pendant toute la première moitié du XXe siècle, sur la base d'un système de prix loin d'être concurrentiel, justement, puisque les grandes maisons de commerce coloniales formaient des monopoles vis-à-vis des producteurs locaux : "En Afrique Occidentale Française par exemple, les deux plus grosses sociétés commerciales, la Société Commerciale de l’Ouest Africain (SCOA) et la Compagnie Française d’Afrique de l’Ouest (CFAO), dominent tout le territoire. Il n’est donc pas établi que la France n’ait pas profité de son statut impérial pour s’approvisionner à bas prix, loin s’en faut." (op. cité).
matières premières : "pour l’essentiel de l’arachide, du café, du cacao, du riz, du sucre de canne, des vins, du caoutchouc, du bois et des phosphates" (op. cité).
Enfin, l'argument relatif au faible investissement de capitaux privés dans les colonies est battu en brèche par Marseille lui-même "Contrairement à ce qui a été toujours affirmé jusqu’ici, le domaine colonial joue déjà [à la veille de la première guerre mondiale] un rôle fondamental dans les stratégies métropolitaines d’expansion et les taux de profits réalisés par les firmes installées sur ce champ privilégié sont là pour le démontrer. D’autre part, l’intervention massive de l’Etat, l’orientation qu’il donne aux budgets des divers territoires assurent à l’investissement privé une sécurité et des conditions de rentabilité dont il ne peut guère trouver l’équivalent ailleurs" (Marseille, Empire colonial..., op. cité ). Et les travaux de Catherine Coquery-Vidrovitch ont d'ailleurs confirmé "que les investisseurs français ont trouvé outre-mer des opportunités de placements forts rémunérateurs et que la colonisation a par là-même apporté un avantage économique à certains agents économiques en métropole." (Huillery, 2008). Ce n'est qu'à partir des années 1950 que ce ces profits sont à relativiser, remis en cause par le contexte colonial et international, situation dont un certain nombre d'historiens se sont servis idéologiquement pour l'étendre à l'ensemble de la période coloniale. Ainsi, Marseille en usera quand il titrera de manière provocatrice "les coûteuses colonies de la France" un article signé pour la revue Expansion, du 1er juin 2003. On ne s'arrêtera pas ici sur la problématique de l'importance des transferts publics effectué par la France vers ses colonies, très difficiles à évaluer, et qui, là encore, ont permis à Marseille ou à d'autres d'atteindre des sommes astronomiques que ne semblent pas du tout confirmer la réalité.
D'autre auteurs se sont intéressés à d'autres faits coloniaux importants, ayant renforcé les inégalités entre colonisateurs et pays colonisés. Il ne sera pas évoqué ici tous les méfaits de la colonisation, mais seulement ce qui concerne la période étudiée ici. Faisons une exception sur la deuxième guerre mondiale qui la précède : "Les territoires africains et leurs habitants ont joué un rôle déterminant dans le conflit : c’est grâce à eux que la France peut s’asseoir à la table des vainqueurs", affirme Thomas Deltombe co-auteur de L’Empire qui ne veut pas mourir — Une histoire de la Françafrique, ouvrage collectif écrit sous la direction de Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe, Editions du Seuil, 2021 (T. Deltombe, Histoire (s) et présent de la Françafrique, entretien avec l'association Survie, N° 312, nov-dec 2021). Et que dire de l'industrie nucléaire française, par exemple, se fondant sur l'exploitation d'uranium au Gabon, à Madagascar ou au Niger, et effectuée dans le cadre de l'exploitation néocoloniale, sujet magistralement étudié depuis de longues années par la chercheuse américaine Gabrielle Hecht (cf. en particulier Uranium africain. Une histoire globale, Paris, Seuil, 2016). Ou encore, du côté des énergies fossiles, cette fois, l'importance capitale du pétrole produit en Algérie : "En 1959 eut lieu à Bougie l’inauguration du terminal du pipeline d’Hassi Messaoud. La production atteignait 14 millions de tonnes à l’été 1960 soit 45 % de la consommation française" (Demagny, 2009 : 362). La même année, avait lieu la première explosion nucléaire française au Sahara.
Françafrique
L'histoire de l'assimilation des élites africaines à la culture française est ancienne. Au XVIIIe siècle, déjà, puis au Premier Empire, se met en place ce que Jean-Pierre Dozon a appelé "la Cité créole", entre les Antilles et Saint-Louis du Sénégal, "un milieu franco-africain dont les personnages clés avaient le regard tourné vers la métropole" (J-P Dozon : cf. Sciardet, 2020). A la Révolution française, il s'agissait de "transformer les indigènes, leur donner des droits naturels" avant d'abandonner "l’assimilation au profit d’un maintien des indigènes en leur état" (op. cité). Mais le pli était pris, l'élite indigène voudra accéder à la citoyenneté française, et forgea ce désir au travers, en particulier, des loges maçonniques qui existaient aussi bien en Haïti, à Saint-Domingue, en Martinique et Guadeloupe, mais aussi à Saint-Louis. Jules Ferry, lui aussi franc-maçon, théorise cette idéologie assimilatrice, qui change après la seconde guerre mondiale, nous l'avons vu (cf. Après-guerre 39/45, le visage de la gauche), pour devenir associationniste, où les Africains deviennent citoyens, non de France, mais de l'Union française (cf. lien précité) : des citoyens de seconde zone, en fait. C'est à ce moment-là que commence à se nouer des relations entre l'élite française et l'élite africaine, la plupart des leaders africains devenant députés (op. cité). Avec la Fédération des étudiants d'Afrique, à Paris, cette connivence des élites franco-africaines allait se renforcer, souvent liée, encore une fois, à la franc-maçonnerie. Durablement influencée par le colonisateur, l'élite africaine agit en dominateur à son tour, négligeant de forger des politiques adaptées à des "cultures de sociétés à 95 % paysannes. C’est ce qui explique, en partie, ce fait extraordinaire de la continuation d’une politique coloniale par des Africains qui l’ont incorporée, sans le savoir pour la plupart" (Bancel, op. cité).
Une littérature très variée a longtemps cherché, pour des raisons idéologiques, politiques en particulier, à bien distinguer la période de la colonisation, de la suivante, celle des indépendances, mais différents historiens ont bien montré que la période post-coloniale est longtemps demeuré une période néocoloniale, celle de la Françafrique (France-Afrique), expression qui n'a pas été forgée par le premier président de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), en 1955, comme on peut le lire partout, jusque dans les travaux scientifiques (exemple : Huillery, 2008), mais par le journaliste Jean Piot, dans un éditorial en une du journal L'Aurore, le 15 août 1945 (L'empire.., op. cité). Derrière la Françafrique, dira un des auteurs "cette géographie imaginaire et les déclarations d’amour se cache une alliance asymétrique de type élitaire visant à garantir les intérêts géostratégiques et économiques de la France, d’une part, et les intérêts des fractions dominantes des sociétés concernées, d’autre part. La Françafrique, dans l’acception qu’en donnent des gens comme Piot ou Houphouët, est d’abord un concept masque qui vise à justifier la dépossession des peuples africains : dépossession de leur souveraineté et de leurs ressources. Là où les choses deviennent intéressantes, c’est que ce concept « imaginaire », et à certains égards utopique, a enfanté un système institutionnel tout à fait réel à partir des années 1950, qui a façonné d’une manière très singulière le néocolonialisme français après les indépendances africaines de 1960." (T. Deltombe, Histoire (s)..., op. cité). François-Xavier Verschave, auteur de La Françafrique. Le plus long scandale de la République (Stock, 1998), utilisait la métaphore de l'iceberg pour décrire la réalité de la Françafrique : pour un dixième, une réalité visible, faite de soutien et de partage, et pour les 90 % restants, bien à l'abri de la lumière, tout un réseau d'"intrigues, de manipulations, de coups tordus, de corruption, de crimes en tout genre" (T. Borrel, op. cité), le personnage emblématique de ce système demeurant bien sûr Jacques Foccart (1913-1997), l'homme qui deviendra le chef orchestre de cette Françafrique (on parlera de "réseaux Foccart"), qui, dès 1952, est invité par le groupe gaulliste du Sénat à participer à l'Union française.
Le système néocolonial, dans les territoires de l'Afrique occidentale française (AOF) se développe à la manière d'une "toile d'araignée souterraine", selon l'expression du premier ministre (de 1959 à 1962) Michel Debré (Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948 - 1971), de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, Edition La Découverte, 2011). "Ce n'est donc plus par l'intégration au sein d'un grand ensemble que sont anesthésiées les velléités indépendantistes des peuples africains, mais par une infinité d'accords, parfois multilatéraux et plus souvent bilatéraux, qui constituent ce que l'on commence à appeler la «politique de coopération ». On donne l'indépendance à condition que l'Etat une fois indépendant s'engage à respecter les accords de coopération, explique Michel Debré au vice-président gabonais, Léon M'Ba" (op. cité).
La Noire de...,
film d'Ousmane Sembène,
1966
"Le pouvoir français recycle alors littéralement une partie de ses administrateurs coloniaux dans un nouveau ministère, dédié principalement aux pays africains de la Communauté, pour chaperonner la mise en place des nouveaux États et veiller à ce que leur politique préserve les intérêts de Paris : la Coopération, avec une majuscule, désigne ce ministère qui sera intégré en 1998 au Quai d’Orsay" (Boukari-Yabara, op. cité). A l'assemblée nationale des lobbies puissants "freinent un certain nombre de modernisations, y compris agricoles, par crainte de la concurrence. Le cas des vins algériens est bien connu, mais ça vaut aussi pour l’arachide et pour un certain nombre de produits agricoles pour l’Afrique noire. On abandonnera la production du blé parce qu’on sait que ça peut créer une concurrence (...) Finalement, le premier tournant, au début des années cinquante, est celui des monocultures d’exportation et des industries de base, pas des industries de transformation qui sont à forte valeur ajoutée (...) On va donc mettre l’accent sur des produits de base, comme le riz, le cacao ou le café, sur lesquels la concurrence n’est pas à craindre. On reste quand même dans une économie de traite et, par ailleurs, on reste tributaire d’un schéma de développement saint-simonien" (Nicolas Bancel, cf. Sciardet, 2020).
Témoins encore de cette néocolonisation déguisée en indépendance, les prérogatives conservées par l'Etat français après l'indépendance : le franc CFA, né en 1945, le pouvoir dans les armées africaines, formées par des militaires français et codirigées par ces derniers, ou encore le recyclage des administrateurs coloniaux, déjà évoqué. A tout cela, il faut ajouter un autre soft-power qu'est la francophonie. Instituée officiellement en 1970 par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), au nom de grands principes de rapprochement des peuples, elle est, dans les faits, "plutôt un puissant instrument de financement, qui permet à la France de se montrer intransigeant sur la place et le rôle de la langue française dans ses anciennes colonies. La francophonie contribue donc à un processus de transformation de l'identité des anciennes colonies qui sont en train d'abandonner leurs langues (Dominici et Dominici, 2005)" (Traoré, 2019).
De plus, il s'agit, par appropriation géopolitique, "de faire barrage au monde anglo-saxon" (op. cité). Les pouvoirs exercés par la France sur ses anciennes colonies africaines justifie donc le terme de néocolonialisme, puisque la Françafrique est une domination à la fois politique, économique, militaire et culturelle (Noirot et Tarit, 2014).
Dans le même temps, la France colonisatrice va mater très durement les premières velléités d'indépendance. Avant d'autres pays, le Cameroun, via l'Union des populations du Cameroun (UPC) réclame son indépendance, dès sa création en 1948, par des revendications pacifistes, auxquelles "Paris répond...par le harcèlement et la violence" (Emmanuel Macron doit, au nom de la France, reconnaître la guerre du Cameroun, Texte collectif, tribune publiée par Le Monde le 24 juillet 2022) . Accusé de subversion, le mouvement est interdit en juillet 1955 par le gouvernement d'Edgar Faure : "Ses militants sont traqués sans pitié et ses leaders assassinés un à un. Ruben Um Nyobè, le charismatique secrétaire général de l’UPC, est tué dans le « maquis » par une patrouille française en 1958. Félix Moumié, son président, est empoisonné à Genève par les services secrets français en 1960. Osendé Afana, cadre de l’UPC, est assassiné dans la forêt du sud en 1966. Ernest Ouandié, son dernier dirigeant historique, est fusillé en place publique en 1971" (op. cité). L'armée française et ses affidés camerounais appliqueront, disent les auteurs, seront responsables de dizaines de milliers de morts et de très nombreuses victimes indirectes, en appliquant "les mêmes méthodes qu'en Algérie : regroupement des populations par la terreur, feu sans sommation dans les « zones interdites », torture des suspects, exécution des partisans adverses, bombardements incendiaires de régions entières, encadrement des populations et « guerre psychologique » de chaque instant" (op. cité). Tous les efforts sont faits pour que ces exactions se passent dans le plus grand silence médiatique, la plus grande opacité, et en 1972, le président Georges Pompidou "ira jusqu’à interdire et détruire les exemplaires de Main basse sur le Cameroun, le brûlot précurseur dans lequel le grand écrivain camerounais Mongo Béti, exilé en France, dénonçait le régime néocolonial imposé à son pays" (op. cité).
Ahmadou Babatoura Ahidjo, premier président du Cameroun, eut à affronter le problème d'un état issu de deux territoires coloniaux distincts, l'un soumis à la France, l'autre par le Royaume-Uni. Après une phase qui vit le jour de deux Etats fédérés, un référendum fit passer le pays à une deuxième phase, en 1972, d'un état unique, la République unie du Cameroun une et indivisible, selon la constitution, qu'Ahidjo réalisa au forceps, de manière très dirigiste, à cause des multiples divisions du pays. Celles de l'ethnicité, tout d'abord, qui a été produite par la colonisation (Elenga, 1995) : En effet, les sensibilités, les particularités des différentes populations ont été mises à profit par les colonisateurs, qui les ont rigidifiées, exacerbées, selon le vieil adage : "diviser pour mieux régner" et ainsi ont pu conférer au caractère prétendument ethnique, et qui est le plus souvent une lutte de classes, un poids écrasant qu'il n'occupait pas avant la colonisation. Le Rwanda, nous le verrons, en paiera un prix incommensurable.
Au fur et à mesure, pourtant, nous l'avons vu, les gouvernements français se rendent compte que cet étau colonial ne pourra pas se maintenir encore longtemps :
"Tirant les leçons des défaites en Indochine et bientôt en Algérie, des dirigeants français comme Pierre Messmer, Jacques Foccart et le général de Gaulle décident de coopter de nouvelles élites camerounaises pro-françaises, de leur confier une indépendance de façade en 1960 et de leur déléguer le salissant travail de « maintien de l’ordre », sous le regard attentif de puissants conseillers techniques français. Le système de la Françafrique, dont le Cameroun est le premier laboratoire, sera rapidement dupliqué dans d’autres anciennes colonies françaises, comme au Gabon, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire" (op. cité)
Nous avons là un schéma mille fois répété dans l'histoire de ces élites dominées beaucoup plus attirées par le pouvoir et la domination à leur tour, que par le bien commun, qui tissent des liens étroits avec leurs anciens maîtres, et qui exploitent à leur tour l'ensemble de leur peuple, dont différentes composantes ont lutté, au contraire pour leur indépendance pure et simple, avec un certain nombre d'idéaux bien différents des désirs mercantiles des hommes politiques au pouvoir : "Les intérêts franco-africains étaient tellement entremêlés qu’on imagine bien que les chefs d’États étaient personnellement impliqués dans l’accès à ces ressources qui, pour eux, étaient énormes." (Dozon, op. cité). Par la loi-cadre de 1956 dite loi Deferre, la France instaure dans ses colonies africaines des Conseils de gouvernement élus au suffrage universel, dotés d'une autonomie financière. La loi ouvre ainsi clairement la voie à une élite africaine prête à devenir des hommes-liges de la France, des hommes soigneusement cooptés que Nicolas Bancel appelle les "élites du compromis" (Bancel, 2002). Citons quelques personnalités importantes appelés ensuite à gouverner ensuite leur pays au moment des indépendances, tels Léopold Sedar Senghor (1906-2001), au Sénégal, Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), en Côte d'Ivoire, Ahmadou Babatoura Ahidjo (1924-1989) au Cameroun, ou encore Daniel Ouezzin Coulibaly (1909-1958) en Haute-Volta (Burkina-Faso à partir de 1984) ou Léon M'ba (1902-1967) au Gabon.
De Senghor "dont on disait souvent, dans les milieux d’affaires franco-africains, qu’il était plus soucieux de faire apprendre le grec aux Sénégalais que de développer véritablement son pays" (Gaulme, 2002), on fera attention de distinguer son grand attachement à la culture française de ses rapports avec les réseaux de d'enrichissement et de corruption. Senghor avait une éthique. Certes, il n'avait instauré qu'un "État de droit" au pluralisme limité à trois courants officiels, faisant montre de "sévérité excessive envers des opposants incarcérés dans de très dures conditions matérielles et morales, attitude politique devenue, hélas ! atrocement banale en Afrique" (op. cité) ; certes, il avait pratiqué "une intervention excessive de l’Etat en matière économique, qui fit plonger le Sénégal dans la régression et la dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure" (op. cité). Pour autant, sa relation étroite avec l'ancien colonisateur (il fut ministre, député, secrétaire d'Etat, beau-fils de Félix Eboué) n'a jamais été pour lui un tremplin pour constituer une fortune éhontée ou frauduleuse : "Léopold Sédar Senghor, tout en jouant durablement un rôle déterminant dans l’évolution des relations franco-africaines, avant comme après les indépendances, ne s’est jamais trouvé cependant au cœur du nœud de scandales que l’on a nommé la « Françafrique'' (op. cité).
Au contraire, Houphouët-Boigny était déjà grand propriétaire de plantations avant même l'indépendance, et tirera l'essentiel de sa fortune du cacao, cet or brun dont la Côte d'Ivoire, en 1960, produisait 80% du commerce mondial : "Houphouët, tout le monde le sait, est déjà riche dans les années quarante/cinquante. Il se tracte toute une série d’affaires, où telle entreprise venant s’installer en Côte-d’Ivoire dans les années cinquante rendait compte à Houphouët et non au gouverneur. On est déjà dans un monde où les rapports ne sont plus des rapports d’assujettissement. Ces gens-là ne sont plus des sujets, comme ce pouvait être le cas avant la guerre." (op. cité). Le président ivoirien s'est servi de l'indépendance pour devenir s'enrichir à millions, en devenant "une sorte de chef d’État adjoint de la Françafrique, ou de l’État franco-africain, le personnage central qui va régler quantité d’affaires pour le compte de l’État franco-africain. Des problèmes diplomatiques, économiques, financiers, énergétiques, d’armement. Tout ce qui fait de la France une grande puissance, alors qu’elle n’est, en fait, qu’une puissance moyenne, passe par l’Afrique. Le pétrole, l’uranium, les armes. La France devient une grande puissance exportatrice d’armement et Houphouët-Boigny est une pièce maîtresse de toute cette affaire." (Dozon : cf. Sciardet, 2020).
En pratiquant la ségrégation territoriale, par exemple, la colonisation britannique donnait aux ethnies un accès inégal à la propriété foncière. Les Belges, qui se voient octroyer un mandat de la Société des nations (SDN) en 1922 (reconduit par l'ONU en 1946 sous forme de tutelle), sur les Territoires du Ruanda-Urundi (Rwanda et Burundi), feront de même et seront responsables de la construction performative des notions de "hutu" et "tutsi", un modèle de fabrication idéologique du temps colonial qui mérite qu'on s'y arrête.
Influencés comme les autres Européens par les thèses d'Arthur de Gobineau (Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), les Belges avaient pris des mesures anthropométriques qui n'avaient rien de scientifique et en déduisirent que "les Hutu seraient des Bantous, jugés inférieurs, tandis que les Tutsi seraient les descendants des Hamites, d’anciens blancs d’origine aristocratique provenant d’Abyssinie (Égypte) qui auraient soumis des paysans indigènes à une époque abrahamique. Alors, les Hamites auraient colonisé le Rwanda et soumis les Twa ainsi que les Hutu au servage, à la culture de la terre, selon un système féodal" (La genèse du génocide des Tutsi - Pour aller plus loin - Réseau Canopé (reseau-canope.fr). S'appuyant sur ces fumeuses déductions, les colonisateurs établirent une sorte d'apartheid où, par exemple, les Hutus étaient exclus des écoles missionnaires qui accueillaient les Tutsis.
Plus scientifiquement, diverses études ont montré que les ethnies hutu, tutsi et twa ne se distinguent ni par la langue, ni par la culture, ni par l'histoire, ni même par l'espace géographique occupé, souligne l'historien spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs, Jean-Pierre Chrétien (Chrétien, 1985). Et quand les traits physiques les distinguent, ils ne concernent pas plus l'appartenance ethnique, mais des traditions alimentaires ou des héritages génétiques différents, de telle sorte que le vice-gouverneur général (VGG) Jean-Paul Harroy, gouverneur du Ruanda-Urundi (RU), pouvait affirmer en 1958 : "Est Hutu qui se dit Hutu, Twa qui se dit Twa, Tutsi qui se déclare Tutsi. Et cela me suffit" (J-P Harroy, "Discours à l’occasion de l’ouverture de la session générale 1958 du Conseil général du Ruanda-Urundi. Usumbura : 1er décembre 1958", in Archives africaines du Ministère Belge des Affaires étrangères, A15bis AI/RU(4377)75 et A40 RaRU (11)1bis). S'il y a bien des différences entre Hutu et Tutsi, il faut plutôt aller le chercher du côté de la domination sociale, le Hutu désignant "le dépendant ou l'inférieur (mais aussi pauvre, dans des langues de l'Angola oriental). De même, au Rwanda, le sens premier de "hutu" serait celui de "sujet" ou "serviteur", tandis que "tutsi" serait à l'opposé un "riche" ou le "maître" (Saur, 2014). Par extension, on appela "Tutsi" des éleveurs de troupeaux importants, comme les pasteurs Hima, qui feront partie de l'élite politique du royaume de la dynastie nyiginya, à partir duquel le Rwanda fut construit. Où on retrouve les deux classes sociales principales des forts et des faibles qui ont longtemps structuré une grande partie des sociétés du monde, avec une "exacerbation des rivalités entre les grandes familles (qui avaient pour ambition d’établir des fils toujours plus nombreux). La rapacité d’une aristocratie avide de terres, de pâturages et de revenus engendra en outre une exploitation accrue qui paupérisa le reste de la population et finit par donner « naissance aux catégories sociales stratifiées aujourd’hui sous les étiquettes hutu et tutsi » " (Saur, 2014, citation de Jan Vansina, Le Rwanda ancien. Le royaume nyiginya, Paris, Karthala, 2001 : 161-207). L'occupant belge, en gravant cette domination dans le marbre, par la mention "ethnique" apposée sur les livrets d'identité, acheva de creuser le fossé entre Hutus et Tutsis, qui devinrent un peuple de seigneurs (avec la bénédiction de l'Eglise, qui s'en étonnerait ?) autour duquel toute une culture sera élaborée, racialisée, et à qui le colonisateur belge octroiera le privilège d'occuper les administrations, source de bien des injustices pour les Hutus.
Le vent commence à tourner dans les années 1950, quand, influencés par le combat mené par Patrice Lumumba pour l'indépendance du Congo, les Tutsi développent un anticolonialisme qui pousse le colonisateur belge à prétexter la justice sociale pour dresser les Hutus contre le féodalisme Tutsi. Le 24 mars 1957, sept membres de l'élite hutue signent le Manifeste des Bahutu, sous-titré : " Note sur l’aspect social de la question raciale indigène". Parmi les signataires, figure celui qui deviendra le premier président du Rwanda, Grégoire Kayibanda. Ce texte montre que l'invention de la racialisation était désormais bien ancrée dans les mentalités, car les auteurs recommandait de conserver temporairement la mention ethnique sur les cartes d'identité, ou encore, de recourir à trois sortes d'investigations ( statistique, généalogie, médecine) pour étayer le degré de "métissage" d'un individu.
Les dirigeants africains eux-mêmes, tout en "se montrant hostile aux expressions identitaires" pour consolider des partis uniques, entre 1966 et 1990, ont "construit de vastes réseaux clientélistes sur la base d’équations ethniques garantissant l’accès dans les sphères de l’État" (Chétima, 2018). Par ailleurs, les termes "ethnies", ou encore "tribus" ont été popularisés avec des connotations péjoratives depuis le XIXe siècle, pour opposer nations européennes, censées être portées par l'histoire, et nations primitives sans histoire, sans écriture, aussi.
De plus en plus de chercheurs dénoncent donc le prétendu principe causal de l'ethnicité, dans les différents problèmes et conflits qui se sont posés ou se posent encore dans les pays africains, qui "exclut toute analyse des événements ayant conduit au conflit, et les « dépolitise »", affirme Sonia Le Gouriellec, chercheuse à l'IRSEM, l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (S. Le Gouriellec, Afrique : le retour des conflits ethniques, article du magazine Le Point.fr, 13 novembre 2017). L'ethnie est le plus souvent un vecteur qui porte des luttes entre élites, pour leur accès au pouvoir (Williams, 2011). Pour certains, les ethnies n'on aucune importance, et personne n'a pu démontrer le rapport entre ethnicité et les différents problèmes de violence politique (Chandra, 2006). Pour d'autres encore, c'est "bien l’existence d’inégalités matérielles et le fait que ceux qui en sont victimes les interprètent en termes ethniques alors qu’elles résultent d’un clientélisme politique, qui explique les violences récentes" (Médard, 2008). Cependant, cela "ne veut pas dire que les appartenances identitaires ne sont pas cruciales dans la guerre", nuance Sonia Le Gouriellec. "Elles peuvent même très certainement venir alimenter le conflit" (Le Gouriellec, op. cité). C'est ce que résume en substance le chercheur Amadou Sarr Diop, de l'Université Cheikh Anta Diop, de Dakar : "L’explication ethniciste des conflits africains sous-estime la complexité des dynamiques sociologiques en jeu. Loin d’être des identités immuables, les ethnies sont des constructions sociales évolutives, sujettes à des manipulations par les groupes et individus en lutte pour l’accès à l’État et à ses prébendes. Pour autant le sentiment ethnique est une réalité avec laquelle il faut composer dans une logique de construction d’États-nations" (Sarr Diop, 2018).
Daniel Ouezzin Coulibaly sera premier président de Haute-Volta (Burkina-Faso à partir de 1984), Léon M'Ba, celui du Gabon, encore un franc-maçon, qui, avec son collègue François Ambamamy, "appréciaient de se voir ainsi donner la possibilité d’accéder à des leviers de commande « tribale », et ne montrèrent aucune propension à plaider pour l’émancipation de leurs compatriotes. De son côté, l’administration française tolérait les abus « traditionnels » perpétrés par ces chefs pendant leurs tâches de perception de l’impôt ou de gestion des obligations de travail. C’est seulement lorsque les abus devenaient trop insupportables, ou trop bruyantes les dénonciations venues de populations maltraitées ou de concurrents politiques, que les fonctionnaires de la nation colonisatrice réagirent durement, avec l’arrestation et l’envoi en exil de leurs collaborateurs déviants." (Keese, 2004). Charles de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958 lui refuse l'accession du Gabon au statut de département français. S'exprimant sur la colonisation en 1959, les paroles du président français témoigneront de son attachement aux mêmes vertus colonisatrices qu'il avait défendues dans son discours du 30 janvier 1944 à Brazzaville : "Il est vrai que pendant longtemps l’humanité a admis – je crois qu’elle avait parfaitement raison – que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, par les obstacles de la nature ou par leurs propres caractères, il était nécessaire qu’il y eut pénétration de la part de l’Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties" (Ch. de Gaulle, conférence de presse à l'Elysée, du 10 novembre 1959, archive INA). Tous les morts, tous les assassinats, toutes les vies démolies, ruinées, des "péripéties" ?
De Gaulle avait depuis longtemps fait preuve de pragmatisme à propos de la colonisation. Dans une France affaiblie par la guerre, et la montée des revendications des populations colonisées, il entame à Brazzaville, avant même la Libération, un processus qui va permettre de continuer de dominer l'espace africain en s'adaptant à ce nouveau contexte historique, en faisant des territoires d'outre-mer africains des Etats autonomes au sein de la Communauté organique (constitution de 1958), une Communauté franco-africaine censée durer plusieurs décennies, faite de développement, de coopération, chapeauté par une solide mainmise militaire française. Avec le successeur de M'ba, on a en la présence d'Albert-Bernard Bongo (qui se fera appeler El Hadj Omar Bongo) un des dirigeants à la botte de l'Etat français parmi les plus représentatifs de cette Françafrique, porté par les réseaux Foccart, dont l'instructeur de sa garde présidentielle a longtemps été le fameux mercenaire Bob Denard, proche du Sdece (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage). Pendant des décennies, le clan Bongo pillera les richesses du pays. Après le minerai, le pétrole va enrichir une foule de dignitaire gabonais, au tout premier chef Omar Bongo lui-même, au détriment du peuple gabonais : "Ce peuple est bafoué depuis cinquante ans. Une oligarchie s’est accaparé toutes les richesses du pays, tandis que les deux tiers de la population croupissent dans la pauvreté. Il n’y a pas de logements, pas de routes, pas d’écoles dignes de ce nom et les hôpitaux sont des mouroirs. Le peuple ne peut plus se ranger derrière un tel régime. Les électeurs ont massivement choisi l’alternance. D’où la révolte à laquelle nous assistons" (Laurence Ndong, Gabon, pourquoi j'accuse, Editions l'Harmattan, 2016).
Longtemps l'ami d'Omar Bongo, André Tarallo, entré chez Elf en 1967 et devenu patron d'Elf-Gabon, finira par avouer, dans le cadre de l'affaire Elf, l'existence de rétro-commissions : "Elf offrait 3 francs (0,45 euros) par baril de pétrole aux dirigeants des pays producteurs. Soit 420 millions de francs (64 millions d'euros) par an, blanchis au Liechtenstein, une partie arrivant en France par «amitié politique»" (Bingo, article du journal Libération, 5 février 2021). Comme Tarallo, l'ancien PDG d'Elf, Loïk Le Floch-Prigent affirmera que cette organisation avait l'aval des présidents français. Ce dernier révèlera une bien plus large organisation de corruption "mise en place par les gaullistes" et poursuivie ensuite, à base de pots-de-vin en Allemagne et en Espagne lors d'opérations pétrolières (Affaire Elf : « Mitterrand et Chirac étaient au courant », article du journal Le Parisien, 18 mai 2001).
"En créant Elf à côté de Total, les gaullistes voulaient un véritable bras séculier d'État, en particulier en Afrique (...). Une sorte d'officine de renseignements dans les pays pétroliers. Sous la présidence de François Mitterrand, le système est resté managé par André Tarallo (P-DG d'Elf Gabon), en liaison avec les milieux gaullistes (...). Les deux têtes de pont étaient Jacques Chirac et Charles Pasqua (...). L'argent du pétrole est là, il y en a pour tout le monde. (...)" (Loïk Le Floch-Prigent, entretiens au journal Le Figaro et Le Parisien en France, 18 mai 2001). De nombreux témoignages accréditent la thèse d'un financement du RPR, en particulier dans la campagne d'Edouard Balladur en 1993, où son directeur de campagne n'était autre que le directeur de la communication d'Elf, soutenu par son PDG, Philippe Jaffré (cf. Loïk Le Floch-Prigent, Affaire Elf, affaire d'Etat, article de Survie, Novembre 2001).
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Cités de transit : en finir avec un provisoire qui dure ! | Cairn.info
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