Révolution Française [ 6 ]
avril à juillet 1789
La misère, partout.
De nombreuses autres régions de France continuent d'être touchées par différents mouvements populaires, principalement causés par la faim :
"Dans les quatre mois qui précèdent la prise de la Bastille, on peut compter plus de trois cents émeutes en France. Il y en a de mois en mois, et de semaine en semaine, en Poitou, Bretagne, Touraine, Orléanais, Normandie, Ile-de-France, Picardie, Champagne, Alsace, Bourgogne, Nivernais, Auvergne, Languedoc, Provence." (Hippolyte Taine, "Les origines de la France contemporaine, la Révolution. —L'anarchie", Paris, Hachette, 2e vol de 1878, 6 volumes, de 1875 à 1893).
A Amiens, la situation restait très difficile depuis plusieurs années déjà, et au lieu de répondre à la misère, le pouvoir renforçait la centaine de fantassins déployés déjà en automne 1788 par des détachements de cavalerie (Archives communales d'Amiens, BB. 98, Registre des délibérations de l'échevinage, 1788-1789, f°19 v°, Assemblée du 24 septembre 1788). Pendant l'hiver 1788/89, "la crise économique plongea brutalement nombre de familles ouvrières dans un extrême dénuement." (Engrand, 1984). Pour huit livres, Le pain le moins cher, le pain bis, valait 10 sols, entre janvier et mai 1788, 15 sols en septembre, 18 sols et 6 deniers en mars 1789 et enfin, 24 sols en juin (Archives communales d'Amiens, Dossiers de la Révolution, 3 I (7) 1, Registre aux causes de police, 27 juillet 1786- 20 avril 1793). On chercha à occuper les ouvriers sans emploi à des travaux d'intérêt public, comme réparer des chemins vicinaux : "Aux travaux de charité, en janvier 1789, ils se présentèrent les sabots aux pieds, les vêtements en lambeaux sans autre ressource pour lutter contre le froid que de se couvrir « du jupon de leur femme ou de la couverture de leur lit »" (Engrand, 1984). Du 28 au 30 avril, la colère est à son comble et des émeutes se produisent. On pille des magasiniers, des boulangers, ou on les oblige à vendre le pain à bas prix. Pour calmer la situation, les officiers municipaux distribuèrent du pain, rouvrirent des ateliers de charité qui avaient été fermés (op. cité). En mars, à Reims, "artisans, ouvriers et paysans exigent la baisse du prix du pain et troublent l'assemblée électorale du Tiers" (Guicheteau, 2014). En Bourgogne, en avril, "la municipalité d'Autun ne reçoit pas le blé qu'elle a acheté à Saint-Andeux en Auxois, les gens de Saulieu et d'Arnay-le-Duc ayant tout fait pour l'empêcher de passer." (Sagnac, 1910). Et à Saulieu, justement, au même moment, "le sieur Buniot, qui avait été chercher du blé dans le pays d'Epoisses, est arrêté ; ses sacs sont percés ; et il est forcé de donner à la populace sa marchandise à perte, « fort heureux d'avoir sauvé sa vie »." (op. cité). A Orléans, "en mars et avril 1789, ce sont des troubles en permanence" (op. cité). "Le 20 avril, le baron de Bezenval [Besenval, NDA], commandant militaire des provinces du centre, écrit : Je renouvelle à M. Necker un tableau de l'affreuse situation de la Touraine et de l'Orléanais ; chaque lettre que je reçois de ces deux provinces est le détail de trois ou quatre émeutes à grand peine contenues par les troupes et la maréchaussée" (Taine, op. cité). En avril, toujours, comme dans de très nombreux endroits de France, c'est la cherté du pain qui pousse les pauvres à se soulever à Besançon, mais aussi la résistance acharnée des aristocrates, qui s'arc-boutent sur leurs privilèges. La foule attaque la voiture de blé de la boulangère Leschère, roue de coups la femme, sauvée par des cavaliers de la maréchaussée (Jean-Etienne Laviron, Annales de ce qui s'est passés de plus remarquable dans la ville de Besançon pendant la Révolution en 1789, Ms 1638, Bibliothèque municipale de Besançon). D'ailleurs, le 24 avril, la disette y cause une émeute frumentaire (Guicheteau, 2014). "Beaucoup de Picards à la veille de la réunion des États généraux étaient donc préoccupés par la faim et par le pain quotidien qui manquait cruellement . Cette triste situation favorisa, entre autres, à partir du mois de mai 1789 un puissant soulèvement agraire des paysans du Vermandois et de la Thiérache." (Slimani, 2012). Du pesage contestable des grains au pillage des réserves de particuliers, les révoltes contre la faim à Saint-Avold, les 11 et 12 mai 1789, ressemblent peu ou prou aux autres émeutes de la faim. Mais on ne voit pas partout des Mathias Steinmetz faire revenir à la ville "101 quartes de blé qu'il avait stockées dans des fermes à l'extérieur de la ville", ni de nombreux bourgeois vendre des grains aux boulangers (Martin ; Flaus, 1989). De mauvaises récoltes dans les régions du Nord "entraînent des difficultés d’approvisionnement et provoquent la disette, augmentant encore la précarité des conditions de vie de la population. A Armentières, comme à Lille, Hazebrouck, Hondschoote, Bergues ou Dunkerque, on pille les boulangeries. Des troupes occupent notre cité de mai à septembre 1789 afin de maintenir un calme qui restera cependant précaire. Le 22 juin 1789, la populace assiège deux bateaux chargés de blé et en exige la vente immédiate" (Fernagut, 2000). "Le 28 mai, le parlement de Rouen annonce des pillages de grains, de violentes et sanglantes mêlées où beaucoup d'hommes, des deux côtés, ont péri, dans toute la province, à Caen, Saint-Lô, Mortain, Granville, Évreux, Bernay, Pont-Audemer, Elbeuf, Louviers, et encore en d'autres endroits." (Taine, op. cité). Dès la fin du mois de juin à Saint-Etienne "un comité, constitué de représentants des trois ordres, est mis en place pour aider les échevins à maintenir la sécurité publique mais devant son inefficacité un second comité est formé en septembre" (Rojas, 2014). Etc. etc.
L'Accomplissement du vœu de la nation : vue de la procession de l'ouverture des Etats-généraux sortant de Notre-Dame pour aller à St Louis, prise de la place Dauphine, à Versailles, le 4 may 1789, eau-forte, col. ; 29,5 x 59,5 cm, Paris, chez Tardieu, 1789, BNF.
Les communes : un bras de fer
Le 5 mai 1789 s'ouvrent les Etats Généraux et le directeur générale des Finances prononce un discours comptable, bien policé, qui est loin des dénonciations d'injustice et d'inégalités affirmées par Robespierre dans son "Adresse à la Nation artésienne", bien qu'il ait réservé quelques lignes aux "hommes du peuple que la crainte de l'indigence a rendus laborieux, et qui, dans l'abandon d'une douce confiance, ont déposé entre les mains de leur Roi, à l'abri de sa probité et de son amour, le fruit des travaux pénibles de toute leur vie, et l'espoir longtemps acheté de quelque repos dans les jours de la vieillesse et des infirmités qui l'accompagnent." (Discours de Jacques Necker, ministre des finances, lors de la séance du 5 mai 1789, Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799) Tome VIII - Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789). Paroles de circonstances, le banquier suisse Necker n'a pas grand chose à voir avec la défense des plus humbles, nous l''avons montré, et nous en verrons un nouvel aspect un peu plus loin. Elles rappellent tous les propos des premiers libéraux sur le bonheur du peuple, hypocrites et mensongers, nous l'avons aussi déjà examiné. Et cela est encore vrai ce jour-là. Pourquoi les ministres Necker et Barentin (Charles-Louis-François de Paule de Barentin, 1738-1819, garde des sceaux) réclament-ils fermement aux députés à résoudre les problèmes de la France en quelques jours et pourquoi les nobles et les clercs s'appliquent-ils avec zèle à ce mouvement de précipitation ? Les députés du Tiers comprennent aisément la manigance : "Évidemment, ce délai intenable est rapidement identifié comme une manière de limiter les États généraux à une assemblée traditionnelle et à une consultation purement formelle, visant à résoudre la question fiscale." (Mazeau, 2016). D'ailleurs, pour Barentin, la situation est simple : le roi "a tout écouté avec bienveillance : les demandes justes ont été accordées". (Discours du ministre M. de Paule Barentin, garde des sceaux, lors de la séance du 5 mai 1789, Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799) Tome VIII - Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789. Paris). Pour le reste, ce sont des "chimères pernicieuses aux principes de la monarchie" (op. cité). Une façon de dire que beaucoup d'idées contenues dans les Cahiers de Doléances sont "ces innovations dangereuses que les ennemis du bien public voudraient confondre avec ces changements heureux et nécessaires qui doivent amener cette régénération, le premier vœu de Sa Majesté.. L'histoire ne nous a que trop bien instruits des malheurs qui ont affligé notre royaume dans les temps d'insubordination et de soulèvement contre l'autorité légitime." (op. cité).
Les nobles et le clergé conservateurs veulent conserver la division de l'assemblée et le vote par ordre, alors le Tiers refuse cette assemblée de corps et réclame le vote par tête et une "Assemblée nationale", "Assemblée de représentants des communes", et bientôt "les communes" : "..en envisageant les communes comme le peuple, la nation, et les autres ordres comme des classes sous sa protection, sous sa sauvegarde, mais forcées de lui obéir" (Journal d'Adrien Duquesnoy, député du Tiers état de Bar-le-Duc, sur l'Assemblée constituante, 3 mai 1789 - 3 avril 1790). Puisque personne ne rejoint les communes, le Tiers ajourne la première séance du 6 mai. Pendant une dizaine de jours, c'est "plutôt une cohue qu'une assemblée" (Le Point du jour, ou résultat de ce qui s’est passé la veille aux États généraux, samedi 9 mai 1789). Le 18 mai Mirabeau, élu du Tiers à Aix-en-Provence, après un désaveu cinglant de la noblesse lors de sa candidature à la députation de son ordre, joue comme elle a carte de la peur, en accusant Le Chapelier, qui propose de déclarer "Assemblée nationale" la seule assemblée des communes présente, de courir à "une dissolution qui livrerait la France aux plus terribles désordres" (Suite de la discussion des motions tendant à opérer la réunion des trois ordres, lors de la séance du 18 mai 1789, Archives Parlementaires de 1787 à 1860, Première série (1787-1799) Tome VIII - Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789).
C'est un argument récurrent des élites, que de remettre trop en cause les institutions, prendre beaucoup de temps au débat contradictoire, c'est aller vers la confusion et le désordre. Le 22 mai, la noblesse, par la voix d'un noble peu orthodoxe, partisan de la Révolution, du Tiers comme fondement de l'Etat, contre la noblesse héréditaire, affirme "la renonciation de la noblesse à ses privilèges pécuniaires" (Archives Parlementaires, op. cité). On est très loin d'un consensus général, et le rapporteur de la séance note : "Cette motion trouve des contradicteurs qui sont fondés sur ce que cette renonciation ne peut être générale et indéfinie ; qu'il sera nécessaire de la particulariser".
Pendant ce temps, le roi Louis XVI "semble de plus en plus absent et dépassé, au sens propre, par la vitesse des événements" (Mazeau, 2016). Il déclare deux mois de deuil national après la mort du jeune dauphin, le 4 juin et le député Bailly n'arrive pas à lui rendre compte de la situation, "car celui-ci continue d'aller à la chasse" (op. cité).
Revenons un moment à Necker, par le biais de son épouse, Suzanne Curchod, la mère d'Anne-Louise Germaine, devenue depuis trois ans Madame de Stael. Elle fait partie d'un certain nombre de femmes animant des cercles libéraux (pour l'économie) mais néanmoins très conservateurs du point de vue de la morale (très hostiles au divorce), et très actifs sur le plan politique depuis l'annonce de la réunion des Etats Généraux, bien décidées à les saboter. Mme Necker a probablement écrit "une foule de libelles en forme d’apologie de son mari" (Blanc, 2006). Elle accueillit des personnalités comme Sieyès, Condorcet ou Talleyrand. Du côté de la Cour royale, Madame de Polignac, entourée de sa belle soeur, Diane, de la comtesse Brunet de Neuilly ou de la comtesse d'Ossun réunissaient sociétés et coteries ultra à l'hôtel Fortisson à Versailles pour leurs "manoeuvres" antirévolutionnaires (Blanc, 2006). La comtesse de Brionne, quant à elle, "fut ainsi accusée d’avoir perçu des fonds importants de la Liste civile pour faire échouer la réunion des États généraux".
Quand Madame de Stael essaie de tirer des enseignements de la Révolution Française, son aveuglement idéologique lui fait attribuer aux passions toute la responsabilité dans le bonheur ou le malheur des gens, dans la sphère privée ou publique, sans une seule réflexion sur les inégalités dus à la naissance :
"Les passions, cette force impulsive qui entraîne l'homme indépendamment de sa volonté, voilà le véritable obstacle au bonheur individuel et politique. Sans les passions, les gouvernemens seraient une machine aussi simple que tous les leviers dont la force est proportionnée au poids qu'ils doivent soulever, et la destinée de l'homme ne serait composée que d'un juste équilibre entre les désirs, et la possibilité de les satisfaire. Je ne considérerai donc la morale et la politique que sous le point de vue des difficultés que les passions leur présentent; (…) Avant d'aller plus loin l'on demanderait, peut-être, une définition du bonheur; le bonheur tel qu'on le souhaite, est la réunion de tous les contraires, c'est pour les individus, l'espoir sans la crainte, l'activité sans inquiétude, la gloire sans la calomnie, l'amour sans l'inconstance, l'imagination qui embellirait à nos yeux ce qu'on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu'on aurait perdu; (…) le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l'homme peuvent agir, ne s'acquiert que par l'étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. C'est à la recherche de ce but que ce livre est destiné."
Mad. la Baronne Stael de Holstein, De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Lausanne, 1796, p. 10 et 14.
Madame de Stael, c'est aussi l'incarnation d'un féminisme bourgeois, pour sa classe, une héritière des Lumières, pour tout ce qui touche à la culture et à la liberté des privilégiés, et qui conserve comme l'ensemble des gens de son milieu, une indifférence dédaigneuse à l'égard du petit peuple :
"Dès qu’une femme est signalée comme une personne distinguée, le public en général est prévenu contre elle. Le vulgaire en juge jamais que d’après certaines règles communes, auxquelles on peut se tenir sans s’aventurer. Tout ce qui ressort de ce cours habituel déplaît d’abord à ceux qui considèrent la routine de la vie comme la sauvegarde de la médiocrité. Un homme supérieur déjà les effarouche ; mais un femme supérieure, s’éloignant encore plus du chemin frayé, doit étonner, et par conséquent importuner davantage. Néanmoins, un homme distingué ayant presque toujours une carrière importante à parcourir, ses talens peuvent devenir utiles aux intérêts de ceux même qui attachent le moins de prix aux charmes de la pensée. L’homme de génie peut devenir un homme puissant, et, sous ce rapport, les envieux et les sots le ménagent ; mais une femme spirituelle n’est appelée à leur offrir que ce qui les intéresse le moins, des idées nouvelles ou des sentimens élevés : sa célébrité n’est qu’un bruit fatigant pour eux."
Mme de Staël-Holstein, "De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales", Tome Second, Paris, chez Maradan, 1800, pp. 154-155
cercles : On ne désigne pas encore ce type d'assemblées par le mot "salon", ce sera une acception du XIXe siècle. Ce mot est alors "utilisé pour désigner les expositions de peinture de l’académie royale, de la jeunesse ou de la correspondance etc. On trouve aussi un Salon des arts - club réunissant des amateurs de peinture dans les galeries du Palais Royal - ou le « Salon Français » qui n’était pas un cercle mondain comme le suppose Antoine Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Fayard, 2005, mais un club d’activistes contre-révolutionnaires."
Plusieurs conférences de conciliation se succèdent et échouent. Le 13 et le 14 juin, une dizaine de curés rejoignent les communes. Le 17 juin, le doyen de l'Assemblée déclare :
"La dénomination d'Assemblée nationale est la seule qui convienne à l'Assemblée dans l'état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent s18ont les seuls représentants légitimes et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils sont envoyés directement par la presque totalité de la nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible, aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qui soit choisi, n'a le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente Assemblée."
Le 20 juin, devant une salle fermée et gardée par des troupes, au nom du roi, les députés des communes décident de se réunir dans la salle du Jeu de Paume : "L'assemblée nationale, considérant qu'appelée à fixer la Constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public, et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu'elle ne continue ses délibérations dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale.
« Arrête que tous mes membres de cette Assemblée prêteront, à l'instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ; et que ledit serment étant prêté, tous les membres et chacun d'eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable."
(décret du 20 juin 1789 sur la nécessité de ne pas se séparer avant de donner une Constitution au royaume et annonçant le serment du Jeu de Paume, Archives Parlementaires, op. cité)
Serment du Jeu de Paume
Dominique-Vivant Denon
(1747-1825)
gravure d'après J-L David,
1798,
BNF
Le roi Louis XVI convoque un lit de justice le 23 juin, pour tenter de rétablir son autorité, et invoque au nom du bien commun, comme nous l'avons vu plus haut avec la noblesse, les menaces de désordre "Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même de faire cesser ces funestes divisions.", n'hésitant pas à débiter des mensonges criants : "C'est moi, jusqu'à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples". Il ordonne aux ordres de se séparer, mais la réaction ferme d'un Mirabeau de plus en plus à l'aise dans la peau du révolutionnaire mérite d'être citée :
"J'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie si les présents du despotisme n'étaient pas toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature ? L'appareil des armes, la violation du temple national, pour vous commander d'être heureux ? Qui vous fait ce commandement ? Votre mandataire. Qui vous donne des lois impérieuses ? Votre mandataire, lui qui doit les recevoir de vous, de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d'un sacerdoce politique et inviolable ; de nous enfin, de qui seuls 25 millions d'hommes attendent un bonheur certain, parce qu'il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée, une force militaire environne l'Assemblée. Où sont les ennemis de la Nation ? Catilina est-il à nos portes ? Je demande qu'en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre serment ; il ne nous permet de nous séparer qu'après avoir fait la Constitution." (Archives Parlementaires, op. cité).
Le lendemain, le 24 juin, La colère des députés se répand, ainsi que les bruits de démission de Necker, mais aussi le fait que l'archevêque de Paris est "considéré comme l'un des auteurs des déclarations royales et déjà insulté la veille, est assailli, et court le plus grand danger." (Caron, 1906).
Le 25 juin, les gardes françaises manifestent pour la révolution par une mutinerie. Le colonel du Châtelet arrête onze de ses hommes pour insubordination, "qui avaient juré de n’obéir à aucun ordre contraire à ceux de l’Assemblée" (Jules Michelet, Histoire de la Révolution Française, vol 1, in Oeuvres Complètes, 1893-1898, Paris, Ernest Flammarion, p 213 et s), et les enferme à la prison de Saint-Germain-des-Prés. Le 30 juin, il "voulut les tirer de la prison militaire et les envoyer à celle des voleurs" (op. cité), à Bicêtre, mais une foule de plus en plus grosse se dirigea vers Saint Germain et les délivra, avant de les conduire au Palais Royal pour une fête en leur honneur.
Soirée du 30 Juin 1789. Dédiée à l'Assemblée du Palais Royal : Après avoir délivré les Gardes Françaises... , estampe de 1789, eau-forte en couleurs, 28.5 x 22 cm, collection Michel Hennin (1777-1863), puis collection des barons de Vinck de Deux-Orp, Eugène de V... (1823-1888) et Carl de V... (1859-1931), respectivement père et fils. Leg à la Bibliothèque Nationale de France (BNF)
Le 1er juillet, le pouvoir renforce les forces militaires autour de Paris, avec des régiments confiés au maréchal de Broglie. Les mouvements populaires continuent de se manifester, en particulier en Bretagne (Fougères, Vitré, etc.). Le 8 et le 9, Mirabeau demande au roi l'éloignement des troupes militaires (Archives Parlementaires, op. cité). postées autour de Paris et de Versailles, proposition acceptée par la quasi totalité des députés des communes. Contrairement à ce qui est dit absolument partout, l'Assemblée nationale ne s'est pas vraiment proclamée "constituante" le 9 juillet (le mot même est introuvable dans les archives parlementaires de ce jour-là), mais c'est un rapport en ce sens, fondateur, du comité créé pour travailler sur le sujet de la constitution, qu'a détaillé le député Mounier, du 8e bureau, sur trente, qui examinent les travaux de l'Assemblée :
"Messieurs, vous avez établi un comité pour vous présenter un ordre de travail sur la constitution du royaume... Il a fallu nous faire une idée précise du sens du mot Constitution ; et une fois ce sens bien déterminé, il a fallu considérer la constitution telle qu'elle a été entrevue par nos commettants (...) Nous n'avons pas une constitution, puisque tous les pouvoirs sont confondus, puisqu'aucune limite n'est tracée. On n'a pas même séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif. L'autorité est éparse (...) Une constitution qui déterminerait précisément les droits du monarque et ceux de la nation, serait donc aussi utile au Roi qu'à nos concitoyens (...) Appellerons-nous constitution du royaume l'aristocratie féodale, qui, pendant si longtemps a opprimé, dévasté cette belle contrée ? (...) Nous agirons comme constituants, en vertu des pouvoirs que nous avons reçus : en nous occupant des lois, nous agirons simplement comme constitués (...) Le but de toutes les sociétés étant le bonheur général, un gouvernement qui d'éloigne de ce but, ou qui lui est contraire, est essentiellement vicieux (...) il faut donc, pour préparer une constitution, connaître les droits que la justice naturelle accorde à tous les individus, il faut rappeler les principes qui doivent former la base de toute espèce de société, et que chaque article de la constitution puisse être la conséquence d'un principe." (Archives Parlementaires, op. cité).
"Première scène de la Révolution française à Paris,
12 juillet 1789,
Musée Carnavalet
Le roi Louis XVI continuera malgré tout à faire la sourde oreille. Il évoque le transfert de "l'Assemblée des Etats généraux" à Noyon ou à Soissons si "la présence nécessaire des troupes dans les environs de Paris causait encore de l'ombrage" On comprend aisément pourquoi cette réponse fait lever plusieurs membres "pour l'attaquer et la critiquer" (op. cité). Necker est renvoyé le lendemain, remplacé par le baron Louis Auguste Le Tonnelier de Breteuil (1730-1807), très opposé aux réformes, et le 12 juillet, l'agitation populaire commence à se former en fin de matinée. Un moment s'en détache, appelé bientôt à entrer dans la légende révolutionnaire, attaché à la personne de Camille Desmoulins (1760-1794), à chacun son récit :
"Le Palais-Royal se remplit de monde entre quatre et cinq heures après-midi : on y accourait de toutes parts. Deux bustes en cire, que l'on venait de prendre chez Curtius, y furent promenés [Philipp Wilhelm Matthias Kurtz ou Mathé-Curtz, dit Curtius, 1737-1794, médecin anatomiste et sculpteur, NDA] ; et le peuple, à la vue de ces espèces de fantômes, se livrait à des conjectures extravagantes. Un jeune homme, monté sur une table, y cria : Aux armes ! tira l'épée, montra un pistolet et une cocarde verte. La foule qui l'écoutait, le regardait, passait, à son exemple, d'un silence profond à d'horribles clameurs. On s'anime, on s'excite ; et les feuilles des arbres, arrachées en un instant, servirent de cocardes à plusieurs milliers d'hommes ; ce fut une véritable explosion, et dont le bruit dura trois jours."
Jean Dusaulx, "L'oeuvre des sept jours", in Simon-Nicolas-Henri Linguet, Mémoires de Linguet, sur la Bastille et de Dusaulx, sur le 14 juillet, page 273, Paris, Baudouin fils, 1821.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46758g/f1.item.zoom
" Le 12 juillet, il [Curtius] aurait prêté les deux bustes en cire de Necker et du duc d'Orléans que la foule promena dans tout Paris. Aussi, dit-il « je puis me glorifier que le premier acte d ela Révolution a commencé chez moi »" Louis-Guillame Pitra, La journée du 14 juillet... : cf. Révolution Française, 13 et 14 juillet 1789
"Un jeune homme, Camille Desmoulins, sort du café de Foy, saute sur une table, tire l'épée, montre un pistolet : Aux armes ! les Allemands du Champ de Mars entreront ce soir dans Paris pour égorger les habitants ! Arborons une cocarde ! Il arrache une feuille d'arbre et la met à son chapeau tout le monde en fait autant ; les arbres sont dépouillés.
« Point de théâtres, point de danse ! c'est un jour de deuil ! » On va prendre au cabinet des figures de cire le buste de Necker ; d'autres, toujours là pour profiter des circonstances, y joignent celui d'Orléans. On les porte couverts de crêpes à travers Paris ; le cortège, armé de bâtons, d'épées, de pistolets, de haches, suit d'abord la rue Richelieu, puis, en tournant le boulevard, les rues Saint-Martin, Saint-Denis, Saint-Honoré, et vient à la place Vendôme. Là devant les hôtels des fermiers généraux, un détachement de dragons attendait le peuplé ; il fondit sur lui, le dispersa, lui brisa son Necker ; un Garde-française sans armes resta ferme et fut tué." (Michelet, op. cité, p 223).
"Camille Desmoulins, irrité et résolu, fougueux au milieu d'un groupe, exaltant ses voisins, exalté par eux, saisissant dans la foule des symptômes de colère, poussé par ceux qui l'entourent, et se faisant comme le portevoix de tous, monte sur une table, et, dans ce moment d'enthousiasme, domptant son léger bégayement d'habitude : « Citoyens, s'écrie-t-il, vous savez que la nation entière avait demandé que Necker lui fût conservé?. J'arrive de Versailles. Necker est renvoyé! Ce renvoi est le tocsin d'une Saint-Barthélémy de patriotes. Ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de Mars pour nous égorger. Il n'y a pas un moment à perdre Nous n'avons qu'une ressource, c'est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître ! (...) Quelles couleurs voulez-vous pour nous rallier? continuait Desmoulins. Voulez-vous le vert, couleur de l'espérance, ou le bleu de Cincinnatus, couleur de la liberté d'Amérique et de la démocratie? La foute répond Le vert! le vert! Des cocardes vertes! Et cette révolution commence comme débute le printemps. Camille attache, le premier, un ruban vert a son chapeau. Les arbres du jardin, dépouillés de leurs feuilles, fournissent des cocardes aux citoyens électrisés. C'est une pluie de verdure sous les branches des tilleuls ;"
Jules Claretie (1840-1913), "Camille Desmoulins, Lucile Desmoulins : étude sur les Dantonistes : d'après des documents nouveaux et inédits", Paris, Plon et Cie, 1875.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2099092.pdf
une table : Dans une lettre, le citoyen Beaubourg rappellera au bouillant révolutionnaire qu'il "fut le premier qui aida M. Desmoulins à monter sur la table magique du Palais-Royal qu'entouroient des milliers de citoyens."
Correspondance inédite de Camille Desmoulins, député à la Convention nationale: publiée par M. Matton aîné, P. Ebrard , 1836, p 31.
Camille Desmoulins au Palais Royal, dessin à la craie, 55. 5 x 44.7 cm,
Honoré Daumier (1810-1879)
Musée Pouchkine, Moscou, Russie.
Camille Desmoulins
devant le café de Foy,
anonyme, 1789,
Musée Carnavalet
Camille Desmoulins a beau être fils d'un lieutenant de bailliage, c'est grâce à M. de Viefville des Essarts, ancien avocat au Parlement parisien, s'il obtient une bourse au collège Louis-le-Grand, car le "malheur était que l'éducation complète à cette époque coûtait cher." (Clarétie, op. cité) Il y connut Robespierre, de deux ans son aîné et boursier comme lui, "entretenu à paris par le collège d'Arras" (op. cité). En 1785, il prête serment comme avocat au Parlement de Paris mais plaide rarement à cause d'un bégaiement, pas "le bégayement ordinaire, l'infirmité désagréable; c'était plutôt le balbutiement de l'homme troublé qui cherche à se remettre de son émotion; au début de la phrase et comme mise en train, si je puis dire, il laissait échapper des hon, hon multipliés (Monsieur Hon, c'était le nom que Lucile [sa femme, NDA] donnait à Camille)" (op. cité). Le 5 mars 1789, a lieu la première assemblée électorale à Guise, en Picardie, patrie de Desmoulins, présidé par le père de Camille, lieutenant général au bailliage de Vermandois, élu mais qui renonce pour raison de santé, tandis que sera élu dans la seconde assemblée Lucie Simplice Camille Benoît Desmoulins. Bientôt, il signera son Ode aux Etats-Généraux par Camille Desmoulins, avocat, député du bailliage de Guise (op. cité).
Jean-Baptiste Lallemand (1716-1803), La Charge du prince de Lambesc (1751-1825) dans le jardin des Tuileries, le 12 juillet 1789
Paris, musée Carnavalet.
Dans la journée du 12 juillet 1789 toujours, Charles-Eugène de Lorraine, prince de Lambesc (1751-1825), propriétaire du régiment de cavalerie du Royal-allemand, qu'il a acheté au prince de Nassau-Siegen en 1785, avait chargé la foule aux Tuileries et "un vieillard appelé Chauvet avait été renversé par le cheval du prince de Lambesc et dangereusement blessé." (Journées mémorables de la Révolution Française racontée par un Père à ses Fils, ou Récit Complet des événements qui se sont passés en France depuis 1787 jusqu'en 1804, par M. le Vicomte [Joseph-Alexis] Walsh, Paris, librairie de Poussielgue-Rusand, rue Hautefeuille, 1837, tome I, p 263). Les gardes françaises avait "déserté la cause royale" pour "prendre sous leur protection la populace dispersée" avant d'attaquer le Royal Allemand, blessant et tuant quelques soldats. Mais ce dernier ayant eu "des ordres formels, ne riposta pas" (op. cité, ). En début de soirée Besenval (Pierre Victor, baron de Besenvalde Brünstatt, 1721-1791) donne l'ordre aux troupes suisses cantonnées au Champ de Mars d'intervenir. Il occupe un moment la place Louis XV (future place de la Concorde), mais il craint "d'engager ses troupes dans les rues étroites de Paris, au milieu des fureurs et de la multitude" (Jean-Charles-Dominique de Lacretelle, 1766-1855, Histoire de l'Assemblée constituante, Paris, Treuttel et Würtz, 1821, p. 74).
"Vue du Champ de Mars le 12 juillet 1789 :
Camp des Regiments de Diesbach Chateauvieux
Salis Samath Suisses Berchini et Chamborand Hussard.
Les citoyens de Paris allant voir ce camp."
Estampe, eau-forte,
19.5 x 28 cm,
BNF, département Estampes et photographies.
BIBLIOGRAPHIE
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