RUSSIE
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Le moment révolutionnaire
(1825 - 1922)
11. Edifier l'ordre socialiste [ 2 ]
La « dictature du ravitaillement »
Une deuxième phase révolutionnaire se dessine à compter du printemps 1918, dans un moment qui coïncide avec différentes calamités qui s'abattent sur la population. Aux problèmes de subsistance s'ajoutent, pour quarante provinces du pays "de nombreuses maladies et épidémies" (Holquist, 2001) : typhus exanthématique, véhiculé par les poux, fièvre typhoïde, et dans une moindre mesure, choléra. Dès le mois de mai, les paysans pauvres n'ont plus de blé, les hommes de retour du front, qui ont été exclus de fait de la redistribution des terres sont sources de tension, sans parler des flots de réfugiés et d'immigrés, qui "rendent la situation plus explosive encore" (Holquist, 2001). Depuis la révolution d'Octobre, le pouvoir bolchevik avait laissé le soin aux paysans d'abattre le "vieux monde", mais à partir de mai-juin 1918, il voulait restaure l'ordre et "réimposer aux paysans le « principe de l’État » (gosudarst - vennost)" (Werth, 2001).
Lénine, et les bolcheviks en général, parlent moins du dépérissement de l'Etat, même si le fameux ouvrage de Lénine, L'Etat et la Révolution sort dans les librairies (cf. Briser...la machine de l'Etat). Pendant le VIIe Congrès du Parti Communiste, en mars 1918, Boukharine propose d'en introduire la notion dans le programme du Parti, ce à quoi Lénine répond qu'il ne peut y "souscrire en aucune façon", car "en ce moment nous sommes absolument pour l'Etat (...) Quand l’Etat commencera-t-il à s’éteindre ? Nous avons le temps de réunir d’ici là plus de deux congrès, avant de pouvoir dire : voyez comment s’éteint notre Etat. A présent, c’est encore trop tôt. Proclamer à l’avance l’extinction de l’Etat, ce serait forcer la perspective historique" (Lénine, Œuvres en 47 volumes publiées des années 1950 à 1960, t. XXVII, p.148-149, Paris, Editions sociales, Moscou, 4e édition). Lénine avait pourtant écrit, dans le livre précité, qu'après la prise du pouvoir l'Etat devait commencer "immédiatement" de dépérir.
En fait, c'est exactement le contraire qui se produit, et les décrets pris tout au long de l'année 1918 le montrent bien. Le 12 avril 1918, face au chaos touchant la distribution de denrées et de biens essentiels, le décret sur l'organisation des coopératives leur donne la tâche d'assurer cette distribution, par exemple de céréales ou de chaussures et de tissus pour l'Armée Rouge. Dès la révolution de 1905 elles avaient étaient multipliées par 15 et à la veille de la révolution d'Octobre, elles sont 63.000 avec 24.000.000 de membres. Suite au décret, les bourgeois doivent quitter les directions des coopératives agricoles, puis en décembre 1918, Lénine accentue leur contrôle par le pouvoir.
En avril, toujours, Trotsky, à la tête du Soviet de Petrograd, prend toute une panoplie de mesures très restrictives et très contrôlées des libertés individuelles de réunion et d'association. Il est aussi à l'origine d'une décret du 22 avril du Comité exécutif central "sur la formation obligatoire à l'art de la guerre" entraînant "l’implication de tous les citoyens dans le travail universel et le service militaire". (Bibliothèque Nationale de Russie, exposition virtuelle).
Bien plus autoritaire et ne laissant plus de place au doute concernant le type de dictature choisi par Lénine (celle du parti contre celle du prolétariat), le texte sous sa plume, paru le 28 avril 1918 est éloquent en la matière :
"Quant à la seconde question, l'importance d'un pouvoir dictatorial personnel du point de vue des tâches spécifiques de l'heure, il faut dire que toute grande industrie mécanique, qui constitue justement la source et la base matérielle de production du socialisme, exige une unité de volonté rigoureuse, absolue, réglant le travail commun de centaines, de milliers et de dizaines de milliers d'hommes. Sur le plan technique, économique et historique, cette nécessité est évidente, et tous ceux qui ont médité sur le socialisme l'ont toujours reconnue comme une de ses conditions. Mais comment une rigoureuse unité de volonté peut-elle être assurée ? Par la soumission de la volonté de milliers de gens à celle d'une seule personne.
Cette soumission rappellera plutôt la direction délicate d'un chef d'orchestre, si ceux qui participent au travail commun sont parfaitement conscients et disciplinés. Elle peut revêtir des formes tranchées, dictatoriales, si la parfaite discipline et la conscience font défaut. Mais, de toute façon, la soumission sans réserve à une volonté unique est absolument indispensable pour le succès d'un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique. Elle est deux fois et même trois fois plus indispensable dans les chemins de fer. Et c'est ce passage d'une tâche politique à une autre, en apparence totalement différente de la première, qui constitue toute l'originalité du moment actuel. La révolution vient de briser les plus anciennes, les plus solides et les plus lourdes chaînes imposées aux masses par le régime de la trique. C'était hier. Mais aujourd'hui, la même révolution exige, justement pour assurer son développement et sa consolidation, justement dans l'intérêt du socialisme, que les masses obéissent sans réserve à la volonté unique des dirigeants du travail. Il est clair qu'une pareille transition ne se fait pas d'emblée. Elle ne peut s'accomplir qu'au prix de très violentes secousses, de perturbations, de retours au passé, d'une formidable tension d'énergie chez l'avant-garde prolétarienne qui conduit le peuple vers un nouvel ordre de choses. Ce à quoi ne réfléchissent guère ceux qui sont en proie à la crise d'hystérie philistine des Novala Jizn, Vpériod, Diélo Naroda et Nach Viek."
Lénine, Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets, 28 avril 1918, Pravda n° 83 et supplément des Izvestia du Comité exécutif central de Russie, n° 85.
Pas plus tard que le lendemain, le 29 avril 1918, au Comité exécutif central de Russie, il polémique de manière violente avec les communistes de gauche qui n'acceptent pas de "s'orienter dans la voie du capitalisme d'Etat" et se demande : "qu’est-il arrivé à ces hommes ? Comment des bribes de livres peuvent-elles leur faire oublier la réalité ?" (Lénine, op. cité, p. 304). Les "bribes de livres", ce sont les textes de Marx, dont nous avons déjà vu que, pareils à tous les écrits, ils ne valent pas pour Lénine l'épreuve de la réalité, qui s'impose avec force et avant tout : "Plékhanov était sans doute sincère lorsqu’il écrivait qu’il n’avait jamais tenu Lénine pour un théoricien de quelque importance. Par là, on ne veut point dire que Lénine n’était pas « doué » pour la théorie mais que, malgré ce qu’il avait écrit, la théorie ne guidait pas ses actes, ou plus exactement qu’il trouvait toujours des « arguments » pour justifier n’importe quel changement." (Bourdet, 1968). De manière corollaire, quand le Congrès panrusse des conseils d'économie nationale se réunit à Moscou au mois de mai, on y comptait des délégué de la Vesenkha, de son glavki et de son tsentry mais aucun comité d'usine. Les syndicats qui étaient présents sont décrits par un délégué anarchiste comme des "cadavres vivants" et un autre affirmait que les comités d’usine étaient "des cellules de l’ordre social socialiste à venir, l’ordre sans pouvoir politique" (Rod Jones, Factory committees in the Russian revolution, 2005).
La révolution ne donne pas assez vite de bons fruits ? La faute en partie aux ouvriers, affirme Lénine, qui ne sont parvenus qu'à "casser et à démolir" (Lénine, Oeuvres, op. cité, p. 348). Ce qu'il leur avait demandé de faire, il le sait, mais maintenant c'est fini, puisqu'ils ne savent pas faire autre chose, il leur faut suivre aveuglément leur chef suprême. Lénine, quelques années plus tard, admettra des raisons plus objectives, qui tiennent surtout à la précocité du capitalisme en Russie.
De manière plus triviale, nous pourrions dire que Lénine resserre les boulons, et choisit de durcir sa politique. Le décret du 13 mai est une sorte de rappel aux koulaks (kulaks, kulaki) avides, avec les mêmes reproches et la même détestation qu'exprimèrent les révolutionnaires français envers les spéculateurs et autres "accapareurs de grains" :
"Alors que les provinces consommatrices meurent de faim, d'importants stocks de céréales… se trouvent dans les provinces productrices. Ces stocks sont entre les mains des koulaks ruraux et des riches, entre les mains de la bourgeoisie rurale.
Remplie et satisfaite, ayant accumulé une énorme somme d'argent gagnée pendant la guerre, cette bourgeoisie rurale reste sourde et insensible aux travailleurs affamés et aux paysans pauvres. Il refuse d’envoyer des céréales aux stations gouvernementales dans le but de forcer l’État à augmenter encore et encore le prix des céréales. En même temps, il vend à son profit des céréales dans les provinces à des prix fabuleux aux spéculateurs et aux marchands de sacs.
Il faut mettre fin à l'obstination des koulaks avides et des paysans fortunés. L’expérience des dernières années en matière d’achat de produits alimentaires a montré que la non-application de prix fixes pour les céréales et d’un monopole sur les céréales rendait la nourriture inaccessible à plusieurs millions de personnes en difficulté, les exposant ainsi à une mort inévitable par faim.
La réponse à la violence des céréaliculteurs à l'égard des ruraux pauvres doit être une violence à l'encontre de la bourgeoisie." (décret du 13 mai 1918).
Le même décret précise que les koulaks et autres "ennemis du peuple" sont "tous ceux qui détiennent des excédents en blé et qui ne les donnent pas dans un délai d'une semaine".
"Tandis que le régime impérial, le Gouvernement Provisoire et les mouvements hostiles aux Soviets considéraient les mesures de ravitaillement comme un simple moyen de restructurer la vie économique, l’État soviétique se servit des mécanismes de la planification économique comme d’un outil pour agir sur les individus et transformer la société. En moralisant l’action individuelle, le régime soviétique orienta ses mesures répressives sur l’individu plutôt que sur ses biens. Un décret soviétique du 14 mai 1918 décrivit le fait de ne pas remplir les obligations édictées par l’État comme un acte conscient, produit d’une intention malveillante, plutôt que comme un fait naturel regrettable mais inévitable. Puisque ne pas réussir à répondre aux objectifs était un acte intentionnel et malveillant, la condamnation était pénale et dirigée contre la personne du contrevenant, et pas seulement contre ses biens. Le décret sur la « dictature alimentaire », comme de nombreux autres qui le suivirent, présentait le contrevenant comme un « ennemi du peuple » qui devait être jugé pour ses crimes par un tribunal révolutionnaire" (Holquist, 2001).
Le décret du 20 mai 1918 va plus loin dans la coercition, avec la création d'une "armée de ravitaillement" (Prodovol'stvennaja armija : Prodarmiia) qui s'appuiera peu après, à la demande du VTsIK au Commissariat du Peuple à l'approvisionnement (Narkomprod), sur des comités locaux de paysans pauvres (kombed, kombedy, kombiédy, abréviation de Comité des pauvres, Комитеты Бедноты), institués par décret du 11 juin 1918 "Sur l'organisation et l'approvisionnement des paysans pauvres", par le Comité exécutif central panrusse et approuvé le 6 août par le Conseil des commissaires du peuple. Puis, tout au long de l'été, leurs missions vont être étendues. La Pravda, le 18 août rapporte des témoignages évoqués dans un télégramme de Lénine adressé à Aleksandr Cjurupa, le Commissaire au ravitaillement, selon lesquels "les kombedy s'en prennent aux paysans moyens alors que «le pouvoir soviétique n'a jamais été en lutte contre les paysans moyens »"
Carte du Comité des pauvres
(kombedy),
province d'Ekaterinoslav, 1924
L'opulent koulak entrepose une quantité
excessive de grains
Les paysans font la queue pour le pain insuffisant
Le koulak spéculateur est pourchassé
L'armée de ravitaillement envoie le blé pour le redistribuer aux populations
nécessiteuses
Le blé redistribué, personne ne manque de
pain
la famille soviétique modèle
Carte de pain
(хлеб, "khleb"),
1920
L'armée de ravitaillement est composée de 40 à 50.000 hommes, qui grossira pour atteindre environ 300.000 en 1920, selon l'historien Nicolas Werth, chargée de tout ce qui touche à la réquisition (prodrazverstka, prodrazviorstka, prodrazvertska) de grains : recherches de suspects, interrogatoires, recueil de plaintes, surveillances diverses, etc. Ces milices, en plus de désagréger ce qui faisait le vieux tissu social de la paysannerie, "vont entretenir un climat d’extraordinaire violence dans les campagnes.", des milices armées "en majorité composées de chômeurs ou d’éléments du lumpen-prolétariat affamés prêts à tout pour s’approprier, par la force, le blé « accaparé par les koulaks »" (N. Werth, La violence dans les révolutions russes, Revue Nouvelle, N¨ 7/8 juillet-aout 2010), voire "en bonne partie formées de criminels et de déserteurs" (Stanziani, 1997). On ne s'étonnera guère d'apprendre que ces soldats peu orthodoxes étaient surveillés eux-mêmes par la Tcheka ou l'armée, ce qui nous apprend, par exemple, qu'ils avaient dans l'ensemble "peu d'attachement... aux idéaux communistes" (Stanziani, 1997). Par ailleurs, dans différentes administrations les agents "transmettent souvent à leurs supérieurs les renseignements que ces derniers s'attendent à recevoir". Il existe des milices armées dans d'autres administrations, comme le commissariat aux Transports, doté de brigades propres ou encore des brigades de travailleurs dans les usines.
I.I. Mityaev avait seize ans quand il est devenu membre d'un kombed, à Ranenburg. Dans ses Mémoires, il raconte les première révoltes de sa région dès l'automne 1918, dans les volosts de Dubovskaya, de Putyatinskaya, de Saltykovskaya, d'Urusovskaya ou encore Doubovoïe. Elles avaient été déclenchées en particulier par le fait qu'on ne s'en prenait plus seulement aux riches koulaks mais aux paysans moyennement aisés. Le 7 novembre il a vu comment les rebelles avaient été accueillis à Kolybelsky par un détachement communiste de Ranenburg, qui a ouvert le feu avec des fusils et des mitrailleuses, les paysans n'ayant, par ailleurs, que des fourches pour se défendre.
Tout cela pour des résultats bien maigres, nous dit l'historien, puisqu'ils ne représentent "que 10 % des objectifs fixés" (Sumpf, 2017). C'était là une première phase de la "dictature du ravitaillement" engagée jusqu'en mars 1921, qui voit les révoltes paysannes prendre tellement d'ampleur que les bolcheviks changeront de méthode et proclameront la NEP (Nouvelle Politique Economique, 13 mars 1921). Devant tant de difficultés qui, de plus, surgissent au moment où les Blancs connaissent des succès dans les régions du sud, de l'est et du nord du pays, le pouvoir soviétique supprime les kombedy en décembre 1918 et le remplace par un système de réquisition moins violent, la prodrazverstka (abréviation de продовольственная развёрстка, "distribution alimentaire" ), fondé sur des quotas annuels négociés avec les paysans. Mais le mal était fait, et les premiers rapports de la Tcheka, en juillet-août 1918, sur les réquisitions brutales opérées par l'armée du ravitaillement, montrent que ces dernières ont déclenché les "premiers affrontements entre le nouveau régime et de larges fractions de la paysannerie." (Werth, 2001).
Interrogatoire par le Comité des pauvres
Recherche d'agitateurs dans le village
Dessins d'Ivan Alekseevich Vladimirov (1869-1947)
« ...comme des coqs en pâte »
Alors que la population vivait pour beaucoup dans le dénuement, un certain nombre de dirigeants bolcheviques s'installaient dans les grands hôtels moscovites. Le 16 avril 1918, Lénine et Vladimir Podbelski, le nouveau commissaire aux Postes et Télégraphes, avaient édicté un décret sur l'organisation du ministère, très compliquée depuis le récent déménagement à Moscou. Joignant l'utile à l'agréable, les cadres bolcheviks s'installent alors dans des hôtels transformés en Maison des Soviets, en particulier parce que toutes les chambres étaient dotées d'un téléphone, mais aussi de services d'hôtellerie (Zakharova, 2011). Sans ressembler au luxe des membres de la Nomenklatura du temps de Staline au pouvoir, on commence à distinguer chez l'élite un goût des privilèges qui allait ensuite s'accroître, alors même que beaucoup de gens connaissaient une misère extrême. Mais il y a bien entendu des révolutionnaires purs et durs, à commencer par Lénine lui-même et quelques uns de ses collaborateurs, connus et appréciés pour leur vie simple et éloigné du luxe des plus riches. Ceci étant dit, Lénine a vécu dans une aile du Palais du Kremlin, entouré d'un mobilier de choix, de domestiques, en particulier pour la cuisine. Cependant, à la lecture des Souvenirs de Lénine, rédigés, rappelons-le, par son épouse Nadejda Kroupskaïa, on comprend que les repas étaient frugaux et n'avaient rien de menus gastronomiques, et que le service n'avait rien, non plus, d'un trois étoiles. On peut citer aussi Jacobs Peters (Jēkabs Peterss, Yakov Khristoforovich P., 1886-1938) , un Letton, un des principaux initiateurs de la Tcheka, comme son collègue Dzerjinski. Sa fille était très amie avec Louise Bryant, et il s'était remarié avec une enseignante : "Ils vivaient dans une seule pièce, partageaient une salle à manger avec vingt autres personnes et étaient mal habillés. Lorsque nous avons discuté de ce point, Peters a amèrement dénoncé plusieurs responsables soviétiques qui, a-t-il dit, « vivaient comme des coqs en pâte ». « Un révolutionnaire ne peut pas s’attendre à imposer des privations à d’autres personnes s’il n’est pas prêt à être un exemple d’abnégation », a-t-il déclaré. Il était devenu connu presque comme un conservateur parmi les communistes de gauche parce qu’il avait refusé de fermer les bazars mahométans, disant que ces gens n’étaient pas prêts pour le communisme." (Louise Bryant, Mirrors of Moscow, 1923). Sa connaissance de la langue anglaise, contrairement aux autres patrons de la Tcheka, l'entraîna sous les projecteurs des journaux anglo-saxons, qui lui taillèrent une réputation abominable de "monstre assoiffé de sang", lui qui hésitait à rétablir la peine de mort et qui confiait à Bryant en janvier 1918 : "Si jamais nous devons tuer, cela doit commencer dans nos propres rangs". Rapprochant cette rumeur de son travail personnel, la journaliste affirme : "Il est impossible de dire combien de membres de l’ancienne force de police ont réellement servi sous les Soviétiques. J’ai découvert, après une enquête personnelle, que beaucoup d’histoires étaient en grande partie des mythes." (Bryant, op. cité).
Tous n'étaient pas des révolutionnaires exemplaires et un certain nombre de cadres bolcheviks cherchaient à obtenir des privilèges particuliers : Hauts salaires (même si des efforts étaient faits pour limiter les salaires des cadres du parti et de l'Etat par une disposition appelée partimax), standards de vie supérieurs : habitations, chauffeurs, nourriture de choix, etc. (Fuhrmann, 1989). Après la révolution d'Octobre, une "vaste armée de permanents des soviets... s'est ruée sur les divers commissariats et commissions, directions et sections, bureaux et comités" et elle est devenue un groupe social privilégié, conservateur :
"Ces gens sont, bien entendu, désireux de conserver leur situation privilégiée ; un certain poids et une certaine considération aux yeux des gens de leur entourage, un traitement décent, une ration alimentaire supérieure, une multitude de petites faveurs et priorités, tout cela fait que le permanent soviétique tient à sa place et cela ne le prédispose nullement à l'audace révolutionnaire." (K. Sorin, A propos du pouvoir soviétique (1918), Kommunist [Revue des communistes de gauche], N°4, juin 1918). Il en va ainsi des fonctionnaires attachés à la fameuse Tcheka, dont les salaires sont relativement attractifs, puisqu'un "collaborateur" gagne "deux fois plus qu'un travailleur qualifié" (Werth, 1991), écornant comme ailleurs la volonté d'uravnilovka ("nivellement") du pouvoir. "Cependant, c'est la garantie de recevoir, gratuitement, deux, voire trois repas par jour qui, outre l'assurance de ne pas être envoyé sur le front, constitue l'avantage majeur lié à l'emploi de tchékiste. En effet, 99,2 % des tchékistes reconnaissent prendre tous les jours leurs repas à la cantine du 11, rue Lubjanka." (Werth, 1991). De hauts dirigeant s'étaient choisis de belles résidences, comme Trotsky, dont la femme, Natalia Ivanovna, qui avait fait des études à Genèvre et à la Sorbonne, dirigera les musées et les monuments historiques dans le ministère de Lounatcharsky, et choisira pour résidence une partie du somptueux palais de la princesse Zinaida (Zénaïde) Nikolaevna Yusupova (Ioussoupova), dernière héritière des princes Ioussoupov, à Arkhangelskoye (Nikolaï Karlovitchh Svanidze, Chroniques historiques, Nous sommes en 1920. Wrangell, article de 8 juillet 2015, Комсомольская правда, Komsomolskaïa Pravda).
Domaine d'Arkhangelskoye,
Palais des princes Ioussoupov,
Musée, 1790
Tribunaux révolutionnaires
Le décret sur la justice du 22 novembre / 5 décembre 1917 a remplacé l'ancienne législation pour un système fondé sur une justice populaire, décentralisée. Les citoyens étaient appelés à rendre justice via des assesseurs populaires, mais ces principes plutôt démocratiques n'ont jamais pu être appliqués à cause de la guerre civile, qui inspira une justice totalement opposée à celle-ci, c'est-à-dire une justice sommaire, discrétionnaire et peu soumise au droit. C'est elle qui anima les tribunaux d'exception, déjà prévus par le décret, mais qui, de fait, "devinrent les principaux organes judiciaires dans les régions : ils traitaient toutes les affaires politiques et de droit commun, et prenaient ainsi souvent la place des tribunaux civils." (Tarkhova, 1996). C'est que cette justice, aussi, n'attendait pas forcément le crime pour juger, mais avait par avance criminalisé une classe sociale dans son ensemble, la bourgeoisie, qui a rapidement fait l'objet d'un déchaînement de coercitions et de violences.
Ainsi, trois jours après les débuts de l'offensive allemande, le Conseil des commissaires du peuple de la RSFSR publie un décret le 21 février 1918, intitulé "La patrie socialiste est en danger !", dont Léon Trotsky a revendiqué la paternité (L. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, tome 2, "Octobre", paru en 1933. Le tome 1, "Février" a été publié en 1930), qui institue en particulier le travail forcé pour ceux qui seront inclus dans la "classe bourgeoise" :
“ La patrie socialiste est en danger !
Afin de sauver le pays épuisé et tourmenté de nouvelles épreuves militaires, nous avons fait le plus grand sacrifice et annoncé aux Allemands notre accord pour signer leurs termes de paix.
Le 20 (7) février, nos parlementaires ont quitté Rezhitsa pour Dvinsk dans la soirée, et il n’y a toujours pas de réponse.
Le gouvernement allemand est évidemment lent à réagir. Il est clair qu’il ne veut pas la paix. Conformément aux instructions des capitalistes de tous les pays, l'armée allemande veut étrangler les travailleurs et les paysans russes et ukrainiens, rendre les terres aux propriétaires terriens, les usines et les usines aux banquiers, et le pouvoir aux monarchies. Les généraux allemands veulent établir leur « ordre » à Petrograd et à Kiev.
La république socialiste des Soviets est en grand danger.
Jusqu’à ce que le prolétariat allemand se lève et gagne, il est du devoir sacré des ouvriers et des paysans de Russie de défendre la République des soviets contre les hordes de l’Allemagne bourgeoise-impérialiste.
Le Conseil des Commissaires du peuple a donc décidé :
1°
2°
3°
4°
5°
6°
7°
8°
Que toutes les forces et tous les moyens du pays seront entièrement consacrés à la cause de la défense révolutionnaire.
Que tous les Soviets et les organisations révolutionnaires sont chargés du devoir de défendre chaque position jusqu’à la dernière goutte de sang.
Que les organisations ferroviaires et les conseils qui leur sont associés sont tenus par tous les moyens d’empêcher l’ennemi d’utiliser les moyens de communication ; en se retirant, on détruira les voies, fera sauter et brûler les bâtiments ferroviaires ; tout le matériel roulant - wagons et locomotives à vapeur -sera immédiatement envoyé à l’est, vers l’intérieur du pays.
Que les stocks de céréales et de denrées alimentaires en général, ainsi que tous les biens de valeur qui risquent de tomber entre les mains de l’ennemi, soient soumis à une destruction inconditionnelle ; celle-ci sera supervisée par les conseils locaux sous la responsabilité personnelle de leurs présidents.
Que les ouvriers et les paysans de Petrograd, de Kiev et de toutes les villes, villages et hameaux le long de la nouvelle ligne de front mobilisent des bataillons pour creuser des tranchées sous la direction de spécialistes militaires.
Que ces bataillons comprennent tous les membres valides de la classe bourgeoise, hommes et femmes, sous la supervision des gardes rouges ; ceux qui résistent devront être abattus.
Que toutes les publications s’opposant à la cause de la défense révolutionnaire et se rangeant du côté de la bourgeoisie allemande, ainsi que celles cherchant à utiliser l’invasion des hordes impérialistes pour renverser le pouvoir soviétique, soient fermées ; les rédacteurs en chef et le personnel valides de ces publications seront mobilisés pour creuser des tranchées et d’autres ouvrages défensifs.
Que les agents ennemis, les spéculateurs, les voyous, les hooligans, les agitateurs contre-révolutionnaires, les espions allemands soient abattus sur les lieux de leur crime.
La patrie socialiste est en danger ! Vive la patrie socialiste ! Vive la révolution socialiste internationale !
”
Affiche pour le décret
du 21 février 1918
Brouillon du décret du 21 février 1918,
"La patrie socialiste est en danger !"
Décret du 21 février 1918,
"La patrie socialiste est en danger !"
Le 4 mai 1918, le Sovnarkom ordonne par décret de supprimer tous les tribunaux qui s'étaient créés de manière spontanée dans l'armée et de confier leurs affaires aux tribunaux révolutionnaires. Au mois de juin, les tribunaux révolutionnaires, qui jugent toutes les affaires criminelles sur le front et tout spécialement celles qui relèvent de la justice militaire, obtiennent du pouvoir central une grande autonomie. Ils décident seuls des peines à infliger et mènent la répression de manière tout aussi indépendante (Tarkhova, 1996). Dès la fin du mois de juillet, le premier tribunal terminait sa première instruction, à qui avait été demandé de "faire preuve de toute la sévérité nécessaire en ces temps de guerre et pouvait, étant donné la responsabilité qui lui incombait dans le destin de la Russie révolutionnaire, prononcer des condamnations à mort" (ANMR, fonds 157, op. 5, d. 3, 1. 11). Conformément à cette exigence, on exécuta vingt déserteurs de la cinquième armée sur le front oriental (la peine de mort avait été abrogée en octobre, puis rétablie le 16 juin 1918). Les désertions étaient une épine dans les pieds du pouvoir bolchevique. Entre l'été 1918 et la fin de l'année 1920, la Commission centrale de lutte contre les déserteurs avait enregistré plus de... 3.700.000 cas ! (Figes, 1990).
Le commissaire à la guerre, Léon Trotski rappela dans une directive du 8 août que la révolution serait impitoyable contre les "ennemis du peuple". Le 2 septembre, le VTsIK confia tout le pouvoir militaire à une seule entité, le Conseil militaro-révolutionnaire de la République, dont le président était Trotski, qui conservait son poste de commissaire du peuple à la guerre. Trotski dramatisait encore plus les choses le 14 octobre, en créant le Tribunal militaro-révolutionnaire suprême, qu'aucune loi n'avait officialisé. Ajoutons à cela que les premiers documents législatifs relatifs aux tribunaux militaro-révolutionnaires étaient signés de la main de responsables militaires, et non du commissariat à la justice. De plus, les juges, nommés par les conseils militaires ne sont pas pour la plupart des professionnels et possèdent un bagage scolaire très insuffisant, de niveau élémentaire ou secondaire. On voit bien là le type de justice qui pouvait être rendue : "les tribunaux militaires sont essentiellement composés de camarades totalement dévoués au parti, mais sans aucune connaissance juridique ni expérience de la justice. De graves erreurs sont donc commises et les lois de l’État soviétique ne sont pas toujours respectées." (ANMR, procès-verbal de la réunion des 18 et 19 juillet 1920, fonds 24 380, op. 2. d. 3, 1. 183).
Félix Dzerjinski, patron de la Tcheka
puis de la Guepeou (1918-1926)
Tcheka : « la pauvreté morale »
Une des tâches les plus importantes confiées à la Tcheka était de tenir le pouvoir régulièrement informé de l'état du pays, de l'opinion publique, ce qui n'était en rien une nouveauté, puisque c'est ce qui avait été demandé naguère à la 4e section de l'Okhrana tsariste (Lecomte, 2020). Citons en passant un autre organe d'informations sur "l'esprit public", la censure postale, dépendant du Contrôle militaire. Forte de 10.000 personnes en 1919, elle adressait régulièrement aux plus hauts responsables civils et militaires des informations collectées dans les lettres soumises à la censure (Werth, 2001). Mais les paroles sans équivoque de Lénine sur la guerre déclarée aux différents "ennemis de la révolution" font mieux comprendre les objectifs premiers assignés à la Tcheka. Sa démonstration de force, la veille de l'ouverture prévue de l'Assemblée Constituante, à Petrograd, est à ce sujet très parlante. Son chef local, le Juif ukrainien Moïsseï Ouritsky, instaure ce jour-là un état de siège avec 30.000 soldats lettons détachés du front militaire du nord. Il faut ici rappeler que la Tcheka c'est la Commission panrusse extraordinaire de lutte contre la contre-révolution, la spéculation et le sabotage, et qu'a priori, on ne voit pas, parmi les catégories criminelles envisagées, celle qui correspond aux députés qui se réunissent le 5 / 18 janvier pour discuter pacifiquement de l'avenir du pays. Mais le pouvoir avait d'emblée montré qu'il avait du muscle, et qu'il était prêt à s'en servir. Néanmoins, différents historiens, comme Nicolas Werth, Orlando Figes ou encore Ilya Ratkovsky (cf. plus bas), nous apprennent qu'à sa création, la Tcheka n'a pas de très gros pouvoirs. Elle peut mener des enquêtes, mais elle a peu de moyens de coercition, essentiellement la confiscation des biens et des cartes de rationnement (Werth, 1990), situation qui va vite changer après le déménagement, en mars, nous l'avons vu, des ministères de l'Etat à Moscou, dans les nouveaux locaux de la Loubianka.
La première action d'éclat de la Tcheka sera contre les anarchistes, en avril 1918 : cf. Anarchistes en révolution. Le petit comité de départ de Dzerjinski (à peu près un millier lors du déménagement à Moscou) est devenu alors une machine répressive qui grossit sans cesse : en juin 1918, pour la première conférence panrusse des Tchekas, elle comptera 12.000 fonctionnaires, puis 30.000 en décembre, et jusqu'à 280.000 au début de l'année 1921 (Lecomte, 2020). A noter une forte minorité de femmes (environ 1/5e à ses débuts), qu'on trouve jusque dans les hautes sphères des présidences.
L'été 1918 sera un moment important dans le développement de la Tcheka, que ce soit son expansion, sa réorganisation, les polémiques sur ses missions, aussi, alors que se développe la "Terreur rouge" (Legget, 1981). Jusqu'en juillet "les SR de gauche, assez nombreux dans les organes dirigeants de la Tchéka, avaient réussi à maintenir dans certaines limites légales les activités de cette institution." (Werth, 1991). Mais les évènements se précipitèrent. Le 20 juin, V. Volodarski, commissaire du peuple aux affaires de la Presse, de la Propagande et de l'Agitation, était assassiné par Semyonov, un SR de droite, rappelons-le. Le 6 juillet, l'ambassadeur d'Allemagne, le comte Whilelm von Mirbach (1871-1918) était assassiné à Moscou par Iakov Blioumkine (Blumkine), un militant SR de gauche, souhaitant provoquer la reprise de la guerre avec l'Allemagne et libérer son pays, la Pologne. Le 17 juillet voit l'assassinat de tout ou partie de la famille impériale russe, dont Bernard Lecomte, comme d'autres, affirme sans aucun élément de preuve, qu'il a été ordonné par Lénine lui-même. On peut l'ajouter ainsi à la liste des historiens déjà cités ici, qui négligent la rigueur scientifique pour succomber à leurs penchants idéologiques. Nul doute que Lucien Sève l'aurait épinglé à plusieurs reprises, tant son parti pris anti-bolchevique primaire semble de principe. Ainsi, le parti bolchevik qui prend le pouvoir en octobre, et dont nous avons vu la spectaculaire progression chez les ouvriers, chez les marins, les soldats, etc. dans la deuxième partie de l'année 1917, est toujours pour lui un "groupuscule jusqu'au-boutiste" ; Fanny Kaplan (cf. plus bas) "abattue sans attendre" alors qu'il y a eu différents interrogatoires dont on a très précisément les procès-verbaux ou la Tcheka, et, dernier exemple, l'historien couronne la première année de la Tcheka d'une "folie meurtrière" de "dizaines de milliers d'exécutions", reléguant l'Okhrana tsariste à une sorte de club Med pour opposants politiques, ce qui est très loin des chiffres généralement admis, suffisamment macabres par ailleurs.
Ilya Ratkovsky, docteur en sciences historiques de l'Université d'Etat de Saint-Pétersbourg, rappelle, dans sa Chronique de la Terreur Rouge..., les réserves nécessaires, comme le rappelait Lucien Sève, à la lecture de Melgunov (côté blanc), dont le travail révèle de "graves inexactitudes", mais aussi celle de M. Latsis (côté rouge), qui systématise pour la première fois des statistiques détaillées sur les activités de la Tcheka soulevant, selon le chercheur, des doutes sur le recours accordé à la Tcheka pour la peine capitale, sur le nombre de victimes de la terreur, etc. Ce qui n'empêche pas Rathkovsky de parler d'un nombre conséquent de crimes à compter de la "terreur" (cf. plus bas), pendant l'automne 1918, c'est-à-dire neuf mois après la création de la Tcheka : 512 exécutions les jours qui marquent les représailles après les attentats du mois d'août, 800 en septembre.
Pour les six premiers mois de 1918, Peter parle de 22 exécutions et pour les six derniers, 6000. Au total, l'historien William Henry Chamberlin estime à 50.000 le nombre des victimes de cette police politique (Pierre Broué, Le Parti bolchevique, Les éditions de Minuit, 1963).
Ilya Sergueïevitch Ratkovsky, Хроника красного террора ВЧК. Карающий меч революции / Khronika krasnogo terrora VCHK. Karayushchiy mech revolyutsii : "Chronique de la Terreur Rouge de la Tchéka. L’épée du châtiment révolutionnaire", Edition Eksmo, 2007
Ainsi, les violences de toutes les parties en conflit doivent être examinées, mais chaque fois sur des éléments objectifs de preuve, pas sur des bases idéologiquement tronquées ou carrément mensongères. Un cas de plus à citer au sujet des historiens qui flirtent parfois avec le reportage à sensation : Orlando Figes, bien connu pour son livre sur les révolutions russes (Figes, 1997). Un livre passionnant, comme le sont bon nombre d'ouvrages dont il est question ici, malgré les lacunes qui nous occupent, mais voilà, nous l'avons vu avec Sève, les lacunes en question ne sont pas anodines. Elles parlent de scientifiques qui quittent par endroits la voie de la recherche sérieuse pour se laisser griser (et griser le lecteur après lui) au récit mythologique, aux rumeurs, aux affabulations. Comme d'autres, Figes brosse un portrait à charge de Lénine qui frise la caricature et obscurcit un tableau historique complexe du pouvoir bolchevique, de Lénine lui-même, pétri de contradictions. Ou encore, "un raisonnement téléologique qui domine son analyse, la dictature du parti unique étant comme inscrite, inhérente au bolchevisme ; les données contradictoires à cette vision sont ignorées, et la contextualisation est bien trop limitée (...) Le blocus mené par les puissances occidentales est littéralement absent de la réflexion. La Tcheka n’est présentée que dans son rôle répressif, les exécutions ne constituant pourtant pas sa seule activité…" (Lanuque et Beauvain, 2017 ). Il faut le dire et le redire : La responsabilité écrasante de Lénine dans l'histoire violente et criminelle du parti bolchevique n'autorise pas l'historien sérieux à défouler ses pulsions, à caricaturer l'ensemble de sa vie et de son œuvre.
Prenons un autre exemple significatif, l'anecdote relative au clown Bim-Bom, digne d'un thriller. Tout en affirmant avec raison (comme nous venons de le voir) que durant "les premiers mois qui suivirent la prise du pouvoir par les Bolcheviques, la Tchéka n’était pas aussi meurtrière qu’elle ne devait le devenir" et que le "temps n’était pas encore venu où chaque vie serait marquée par la peur de la Tchéka" (Figes, 1997 : 632), l'historien britannique raconte une histoire qui diabolise la Tcheka, comme si elle était parfaitement établie historiquement :
"Prenez par exemple l’incident célèbre qui survint au cirque de Moscou. Des tchékistes dépourvus d’humour s’étaient offensés des blagues que le clown Bim-Bom lançait contre les soviets. Au milieu de son numéro, ils déboulèrent sur scène pour l’arrêter. Le public, dans un premier temps, pensa que cette irruption faisait partie du numéro du clown ; mais Bim-Bom s’enfuit, et les tchékistes l’abattirent d’une balle dans le dos. Le public se mit à crier, une panique générale s’ensuivit. […] Des centaines de personnes suivirent le cortège funèbre du clown qui devint, de fait, une manifestation. " (Figes, op. cité).
L'auteur sait-il qu'il existe différentes versions de cette histoire ?, qui vont du crime brutal, comme ici, ou dans le documentaire de Channel en 2006, avec en gros plan le "visage terrorisé sous le sourire figé du maquillage" (Morin, 2013). Ce qui est sûr, c'est que la "plupart des sources historiques ne semblent pourtant pas soutenir ces versions" (Morin, op.cité). Figes cite Melgunov, qui ne parle même pas de Bim-Bom mais d'un ex-clown, Drojin, non pas victime mais bourreau de la Tcheka en Turkménistan.
Dans les différentes versions connues, le clown n'est pas seul mais en duo, conformément au couple traditionnel représenté alors dans le cirque russe.
Parfois les tchékistes tirent sur la foule mais pas sur le clown ; parfois, les policiers se contentent de poursuivre le clown autour de la piste, etc., mais surtout :
"Aucun autre auteur ne mentionne la mort de « Bim-Bom », moins encore un enterrement politique. Le mystère s’épaissit si l’on considère que les seuls clowns célèbres de l’époque à porter ces pseudonymes, le duo polonais Radunski (qui joua toujours Bim) et Stanevski (qui jouait Bom à l’époque) aurait quitté la Russie au lendemain du coup d’Octobre pour ne revenir en Union soviétique qu’en 1925." (Morin, op.cité).
D'évidence, l'histoire est pétrie de rumeurs et de manipulations, et Orlando Figes a agi ici comme un journaliste peu scrupuleux, pressé de donner en pâture au lecteur une histoire bien croustillante sans se soucier vraiment de sa véracité. Vous remarquerez que, depuis le début de cette enquête sur les révolutions russes, cela fait beaucoup de dérapages du côté des historiens qui ont pignon sur rue.
Le 19 juillet 1918, Le Conseil des commissaires du peuple déclare à nouveau "la patrie en danger", en rappelant souvent l'expérience révolutionnaire française, qui avait connu exactement la même situation, dans laquelle plusieurs Etats s'étaient dressés contre la France pour mettre à bas la révolution. La mobilisation générale est décrétée le 1er août. Devant les multiples dangers, intérieurs et extérieurs, les dirigeants bolcheviks choisissent de frapper vite et fort.
Le 8 août, Trotski, Président du Conseil militaire suprême, Commissaire du peuple aux Affaires militaires et navales, ordonnait la création de trois camps d'internement, à quelques centaines de kilomètres à l'est de Moscou. :
"Le camarade Kamenshchikov, que j’ai chargé de la défense de la ligne Moscou-Kazan, a organisé la mise en place, à Murom [Mourom], Arzamas et Sviyazhsk, de camps de concentration pour l’emprisonnement d’agitateurs suspects, d’officiers contre-révolutionnaires, de saboteurs, de parasites et de spéculateurs, autres que ceux qui doivent être abattus sur les lieux de leurs crimes ou condamnés par le Tribunal militaire révolutionnaire à d’autres peines. J’avertis les responsables soviétiques dans tous les domaines où des opérations militaires sont en cours, et dans la zone des mouvements militaires, que nous serons doublement exigeants envers eux. La République soviétique punira ses serviteurs négligents et criminels non moins sévèrement que ses ennemis. La terrible situation du pays nous oblige à prendre des mesures terribles.
La République soviétique est en danger ! Malheur à ceux qui, directement ou indirectement, aggravent cette menace !"
Le lendemain, le 9 août, Lénine télégraphiait au Comité exécutif de la province de Penza, à un peu plus de 500 km au sud-est de Moscou, pour demander de placer en camp de concentration "les koulaks, les prêtres, les Gardes blancs et autres éléments douteux..." Que ce soit chez Trotsky ou chez Lénine, on le voit bien, la définition très vague du contre-révolutionnaire laisse à la police politique un choix presque infini de raisons pour accuser quelqu'un d'être un ennemi de la révolution et d'avoir sur lui un droit de vie et de mort. Là, encore, on peut désigner comme ennemis des riches qui n'ont aucun scrupule comme des bourgeois sans histoire, qui auront eu le tort de déplaire aux autorités.
Lénine adresse un second télégramme au comité exécutif de Penza deux jours après, le 11 août 1918, dans le but de réprimer avec force les koulaks :
“ République fédérative soviétique de Russie.
Président du Conseil des commissaires du peuple.
Moscou, Kremlin
11 août 1918
Penza, aux Camarades Kurayev, Bosch, Minkin et d’autres communistes de Penza.
Camarades ! Le soulèvement des cinq volosts de koulaks doit être réprimé sans pitié. C'est toute la révolution qui l'exige, car devant nous se dresse une bataille finale et décisive contre les koulaks. Un exemple doit être donné.
1) Pendez (par tous les moyens pendez, et ce aux yeux de tous) au moins 100 koulaks invétérés, des richards, des sangsues.
2) Publiez leurs noms.
3) Enlevez-leur tout leur pain
4) Exécutez lls otages, selon le télégramme d’hier.
Cela doit être accompli de manière à ce que les gens le voient à des centaines de kilomètres à la ronde, qu'ils le sachent, en tremblent, et finissent par crier : Étouffons et étranglons ces koulaks suceurs de sang.
Télégraphiez-nous en accusant réception et exécution de tout cela.
Réception et exécution du télégraphe.
Votre Lénine.
P.S. Trouvez des gens parmi les plus durs, pour cette tâche.”
Lénine, télégramme au comité exécutif de Penza,
11 août 1918
Cet ordre sera loin d'être suivi et nous rappelle que le système bolchevique continue d'être cette machine hybride, mélange d'autoritarisme et de centralisation en même temps que d'improvisation individuelle et collective. D'autre part, on voit que Lénine continue de s'attaquer à la personne même des riches, avec une haine évidente aussi obsessionnelle qu'aveugle, et au final improductive, l'empêchant de chercher avec plus de hauteur de vue, plus rationnellement, des solutions aux injustices et aux inégalités sociales. Nous avions déjà vu à quel point cette détestation l'avait conduit à mettre en place le système si imparfait, si délétère des kommunalka, qui ne meurtrissait finalement pas que les riches, mais aussi les pauvres.
Dans le cas qui nous occupe, les "camarades" de Lénine s'en sont tenus à faire ce qu'ils considéraient comme juste, ne craignant pas de passer outre l'ordre du chef suprême en ne traquant et fusillant que ceux qui avaient organisé l'assassinat des membres du comité de réquisition (Mary, op.cité).
Fin août, des attentats viennent compliquer davantage la situation déjà problématique du gouvernement bolchevique. Le 30 août, c'est le chef de la Tcheka de Petrograd, M. Ouritski, qui meurt, victime d'un attentat perpétré par un Leonid Kannegisser, un étudiant poète, partisan des Socialistes-Révolutionnaires. Le même jour, en dépit de la mauvaise nouvelle, Lénine commet l'imprudence de ne pas changer son programme, et, au sortir d'une visite prévue à l'usine Mikhelson (Michelson), il s'effondre sous les balles du revolver tenu par Fanny (Fani) Iefimovna Kaplan, arme que lui a fourni Boris Viktorovitch Savinkov (1879-1925), écrivain, responsable d'actions terroristes au Parti SR et probablement assassiné par la Guepeou en 1925. Les tirs de Kaplan blessèrent aussi une femme, Maria Grigorievna Popova, en conversation avec Lénine. Interrogée par la police de la Tcheka, cette dernière fut rapidement relâchée.
Kaplan est un pseudonyme que l'autrice de l'attentat a choisi en 1906, dira-t-elle pendant l'interrogatoire qui suivra son arrestation, sur les lieux du drame (on la surnommait aussi Dora, parfois). De son vrai nom Feïga Khaïmovna Roïdman (Roytman, Roïtblat, en yiddish : רויטמאן / Reutemann, 1890-1918) elle naît dans une famille ukrainienne du gouvernorat de Volhhynie, d'un père enseignant juif. Anarchiste très jeune, elle participe dès l'âge de 16 ans à des complots terroristes à la bombe, qui la conduira au bagne en 1906, dans deux pénitenciers de la katorga de Nertchinsk, en Sibérie, Maltsev et Akatouil (Akatui, Akatuya). Plus proche alors, des SR de gauche que des anarchistes (toujours selon son interrogatoire), elle avait été libérée en mars 1917 : c'est dire la conviction absolue qu'elle avait de la trahison de Lénine envers la Révolution, et qui a conduit à perpétrer un acte si dangereux peu de temps après avoir recouvré sa liberté.
“ Je m'appelle Fanny Kaplan. J'ai tiré sur Lénine aujourd'hui. Je l'ai fait volontairement. Je ne dirai pas d'où provient le revolver. J'étais résolue à tuer Lénine depuis longtemps. Je le considère comme un traître à la Révolution. J'ai été exilée à Akatui pour avoir participé à la tentative d'assassinat du tsar à Kiev. J'ai passé là-bas sept ans à travailler dur. J'ai été libérée après la Révolution. J'étais en faveur de l'assemblée constituante et je le suis toujours. » ”
F. Kaplan, Procès-verbal établi pendant son interrogatoire par le président du tribunal révolutionnaire de Moscou Aleksander Mikhailovitch Diakonov, 30 août 1918, 23 H 30
Revolver, arme du crime de
Fanny Kaplan,
V. Nikolaievitch Pchelin
"Tentative d'assassinat de V. I Lénine",
années 1920
Face à tout cet ensemble de menaces et de crimes, le Conseil des commissaires du peuple légalise la terreur par un "décret sur la Terreur rouge", daté du 5 septembre 1918, dont le lien avec la révolution française est évident : nous avons vu ailleurs qu'elle était une référence, un modèle pour les révolutionnaires russes (entre autres).
Décret du 5 septembre 118
sur la Terreur rouge
“ CONSEIL DES COMMISSAIRES DU PEUPLE DE LA RSFSR
DÉCRET
5 septembre 1918
SUR LA TERREUR ROUGE
Le Conseil des commissaires du peuple, après avoir entendu le rapport du Président de la Commission extraordinaire panrusse de lutte contre la contre-révolution, la spéculation et la criminalité d’office sur les activités de cette Commission, estime que, dans cette situation, la fourniture de l’arrière par la terreur est une nécessité directe; que, afin de renforcer les activités de la Commission extraordinaire panrusse de lutte contre la contre-révolution, la spéculation et la criminalité d’office et d’y introduire une plus grande planification, il est nécessaire d’y envoyer le plus grand nombre possible de camarades responsables du parti; qu’il est nécessaire de protéger la République soviétique des ennemis de classe en les isolant dans des camps de concentration ; que toutes les personnes associées aux organisations, complots et mutineries de la Garde blanche soient exécutées; qu’il est nécessaire de publier les noms de toutes les personnes abattues, ainsi que les motifs de leur appliquer cette mesure.
Signé : Commissaire du peuple à la justice D. KURSKY
Commissaire du peuple aux affaires intérieures G. PETROVSKY
Responsable des affaires du Conseil des commissaires du peuple Vl. BONCH-BRUEVICH
SU, n° 19, Division 1, art. 710, 05.09.18.”
camps de concentration : концлагер : "camp de la mort", de конец, konts : "extrémité', "fin", "mort", et лагерь, lager, "camp".
Une quinzaine de jours après, Zinoviev, chef du parti bolchevique à Petrograd, s'exprime sur la terreur :
"Pour défaire nos ennemis, nous devons avoir notre propre terreur socialiste. Nous devons entraîner à nos côtés 90 des 100 millions d'habitants de la Russie soviétique. Quant aux autres, nous n'avons rien à leur dire. Ils doivent être anéantis."
G. Zinoviev, Petrograd, Journal de Severnaja kommuna, 109. 19 septembre 1918.
Dès le mois d'octobre, différents massacres sont ordonnés par les autorités bolcheviques, conformément aux mesures politiques de terreur qui viennent d'être exposées. On exécute massivement des "« otages de la bourgeoisie » à Moscou, Petrograd, Tver, Nijni-Novgorod, Viatka, Perm, Ivano-Voznessensk, Toula, etc." (Werth, 2009).
“ La Tcheka n’est ni une commission d’enquête ni un tribunal. C’est un organe de combat dont l’action se situe sur le front intérieur de la guerre civile. Il ne juge pas l’ennemi : il le frappe. Nous ne faisons pas la guerre contre des personnes en particulier. Nous exterminons la bourgeoisie comme classe. Ne cherchez pas, dans une enquête, des documents et des preuves sur ce que l’accusé a fait en actes ou en paroles contre le pouvoir soviétique. La première question que vous devez lui poser, c’est à quelle classe il appartient, son extraction, son instruction, sa profession : c’est cela qui décide de son sort
(...)
Nous ne faisons pas la guerre à des individus isolés. Nous anéantissons la bourgeoisie en tant que classe. Ne cherchez pas lors de l’enquête de matériaux ou de preuves démontrant que l’accusé agissait en actes et en paroles contre les Soviets. La première question que vous devez lui posez, c’est à quelle classe il appartient, quelles sont ses origines, son éducation ou sa profession. Ce sont ces questions qui doivent décider du sort de l’accusé. Tels sont le sens et la nature de la terreur rouge.”
Martyn Latsis [chef de la Tcheka], article de La Terreur Rouge, 1er novembre 1918.
“ Jamais dans le plus corrompu des parlements, jamais dans les journaux les plus vénaux de la société capitaliste la haine pour les opposants n'a atteint des sommets de cynisme comme votre haine. […] Ces meurtres nocturnes de personnes enchaînées, désarmées et impuissantes, ces fusillades secrètes dans le dos, l'inhumation sans cérémonie sur place de corps dépouillés jusqu'à la chemise, pas toujours tout à fait morts, souvent encore gémissant, dans une fosse commune... quel genre de terrorisme est-ce ? Cela ne peut pas être appelé Terrorisme. Au cours de l'histoire révolutionnaire russe, le mot Terrorisme n'a pas simplement évoqué la vengeance et l'intimidation (qui étaient les toutes dernières choses dans son esprit). Non, les buts premiers du Terrorisme étaient de protester contre la tyrannie, d'éveiller un sentiment de valeur dans les âmes des opprimés, de réveiller la conscience de ceux qui gardaient le silence face à cette soumission. De plus, le Terroriste accompagnait presque toujours son acte du sacrifice volontaire de sa liberté ou de sa vie. Ce n'est qu'ainsi, me semble-t-il, que les actes terroristes des révolutionnaires pouvaient être justifiés. Mais où trouver ces éléments dans la poltronnerie de la Tchéka, dans l'incroyable pauvreté morale de ses dirigeants ? … Jusqu'à présent, les classes travailleuses ont fait la Révolution sous le drapeau rouge sans tache, qui était rouge de leur propre sang. Leur autorité morale et leur sanction résidaient dans leurs souffrances pour l'idéal le plus élevé de l'humanité. La croyance au socialisme est en même temps une croyance en un avenir plus noble pour l'humanité, une croyance en la bonté, la vérité et la beauté, en l'abolition de l'usage de toutes sortes de force, en la fraternité du monde. Et maintenant, vous avez ruiné jusque dans ses fondements cette croyance qui avait enflammé les âmes du peuple comme jamais auparavant. ”
Maria Spiridonova, extrait de la Lettre ouverte au Comité central du Parti bolchévique, novembre 1918,
Armée rouge, une des dizaines de milliers de
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